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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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sur vous pour m’aider à ce sujet. Voilà : la contrainte dans laquelle vous maintient votre profession ne peut qu’avoir des répercussions sur votre tempérament…
    — Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit.
    — Soyez rassuré. Si je me trompe, libre à vous de me le faire savoir. Doucement, bien sûr, car je suis plutôt douillet de nature. Je n’ai pas particulièrement apprécié cette fois où je me suis réveillé coincé sous mon étude.
    — Vous ne l’aviez pas volé.
    — Passons. Comme vous l’avez si bien exprimé, on ne naît pas tortionnaire, on le devient. C’est bien ce que vous avez dit, n’est-ce pas ?
    — Oui, oui. Et après ?
    Le maître se releva et observa du coin de l’œil Jehanne qui revenait s’asseoir, le regard éploré.
    — Vous avez vomi ? lui demanda-t-il.
    Elle acquiesça honteusement.
    — Je n’arrive pas à comprendre pourquoi votre lettre m’a fait cet effet-là. Je me sens mieux, maintenant… Mais vous étiez en train de discuter. Je ne voulais pas vous interrompre.
    — Il discutait, corrigea Louis.
    — Il n’y a pas d’offense, ma fille. J’étais en train de m’interroger sur ce qui fait d’un homme un bourrel*. C’est une question qui me tracasse depuis fort longtemps et j’en suis venu à la conclusion que c’est la même chose qui fait d’un autre homme sa victime. Non, attendez, laissez-moi préciser ma pensée. Le tortionnaire est lui aussi torturé, ou du moins il l’a été. Victime et bourrel* sortent du même creuset, celui de la souffrance. Vous en êtes un exemple vivant.
    — Trop aimable. Maintenant, ça vous ennuierait de me laisser tranquille ?
    — Par le fait même, il y a en vous quelque chose dont tous les bourreaux ne sont pas forcément nantis : ayant été initié par de nombreuses épreuves, vous avez acquis un don particulier.
    — Ah ouais ?
    — Oui. Je vous sais capable de lire dans l’esprit des gens certaines choses qu’ils cachent.
    — Je ne sais pas lire, dit Louis avec un total manque de bonne foi.
    — Sans doute que non. Par contre, en compensation, vous êtes doté d’une excellente mémoire. Dites-moi, avez-vous déjà eu un jour l’impression que, pour être en mesure de préserver votre existence, vous n’aviez d’autre choix que celui de vous dédoubler ?
    Cette question fit à Louis l’effet d’une gifle. Il fut brutalement replongé dans ses souvenirs d’enfance où, pour échapper à la violence, il se terrait derrière son personnage de demi-idiot que rien n’atteignait jamais.
    — Je ne vois toujours pas où vous voulez en venir, dit-il.
    — Chaque fois que vous aviez l’impression de redevenir Louis Ruest, un être humain à part entière, votre tourmenteur revenait à la charge. Il anéantissait votre pensée afin d’y substituer la sienne. Ce n’était plus vous qui pensiez, c’était lui qui pensait à travers vous.
    Les yeux de Louis, un instant surpris, s’attisèrent.
    — Comment pouvez-vous savoir tout ça, hein ? Vous étiez là, peut-être ?
    — En quelque sorte oui, j’y étais. C’est l’un des rares privilèges qu’octroie la terrifiante capacité de se mettre à la place d’autrui.
    Louis tremblait de peur et de rage contenue. Car il se sentait tout à coup scruté jusqu’au tréfonds de son âme et aussi vulnérable qu’un livre ouvert. Il craignait d’avoir à extérioriser des fragments de sa vie qui, à la semblance* du portrait que Sam avait fait de lui, échappaient à son contrôle ; ils vivaient déjà par eux-mêmes.
    « Vous ne pouvez pas comprendre », faillit-il dire. Au lieu de quoi, pour se protéger et s’isoler davantage, il s’emmura derrière ses tactiques d’intimidation.
    — Foutaises, dit-il.
    — Et, un beau jour, vous avez résolu la question en renonçant tout bonnement à votre identité.
    — Mais vous allez la fermer, oui ?
    Excédé, le géant s’étaya des deux poings sur la table, son visage crûment éclairé par le courroux.
    — Louis, non ! intervint Jehanne.
    — Laissez-moi vous dire une chose : je suis mort. Ce qui vit en moi n’est pas moi. Il y a longtemps que je ne sais plus ce que c’est que « moi ». Et c’est tant mieux. Parce que, si c’était différent, je ne pourrais pas le supporter.
    — Mais…
    — Je fais ce que j’ai à faire, parce que je meurs chaque jour. Je ne ressens rien. Puisque je détiens le pouvoir d’enlever la vie, tout ce que je fais

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