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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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encore, et elle l’avait laissé seul. Seul avec ce cairn qui avait peut-être été édifié en prophétie pour le seul sacrifice de Jehanne.
    Car il avait tout de suite su ce que Jehanne s’en allait faire. Comme il n’y avait pas d’avorteuse à Aspremont, il savait hors de tout doute qu’elle avait pris le chemin de Caen. Il savait même chez qui elle allait se rendre. « Desdémone est apothicaire dans une maison close. Si quelqu’un sait s’y prendre avec ce genre de pratique, c’est bien elle. Et elles se connaissent. Tout est de ma faute. »
    Et il avait juré que si quelqu’un devait mourir, ce ne serait pas l’enfant. « Je mérite la mort », se dit-il en effleurant le couteau qui était accroché à sa ceinture. « Mais je ne quitterai pas ce monde avant d’avoir payé mon dû à la vie. Ce petit doit vivre. Il faut que j’aille prévenir Baillehache. »
    Il s’élança dans le sentier menant à Hiscoutine.
    L’arbre mourant que Louis avait choisi pour ses coupes d’hiver ne fut pas entaillé ce jour-là. Alors qu’il quittait le sentier pour aller le rejoindre, des gouttes de sang à ses pieds attirèrent son attention. Il s’arrêta. L’instant d’après, Sam surgit de nulle part et lui tomba presque dans les bras, maculant son habit noir d’un sang dont l’épanchement, pour une fois, ne lui était pas dû. Il échappa sa hache et retint l’Écossais qui annonça, d’une voix entrecoupée par un souffle rauque :
    — Jehanne s’en va chez Desdémone. Allez-y, vite. La pute s’apprête à lui faire du mal.
    — Desdémone ? demanda Louis, dont les soupçons qu’il avait entretenus à la Saint-Jean se trouvaient confirmés.
    — Oui. Elle n’est pas folle. Elle s’est jouée de nous. De vous, de moi, et maintenant, de Jehanne. Allez-y. Elle s’apprête à lui arracher son enfant.
    — Quoi ?
    — Desdémone est une avorteuse. Pourquoi veut-elle faire ça ? Par Dieu, pourquoi veut-elle faire ça ?
    Louis blêmit autant que l’Escot*. Il sentit le sol se dérober sous ses pieds et ce fut à son tour de se retenir à Sam. Ils se soutinrent l’un l’autre, et le sous-bois se peupla de leurs halètements.
    Sam perdit conscience et s’écroula. Louis dut le prendre dans ses bras pour retourner à la course au domaine.
    *
    — Non !
    Le moine se leva et repoussa son banc. Il gémit.
    — Margot, ce n’est pas possible. Pas cette horreur ? dit-il doucement.
    — Venez, mon père. Venez avec nous. Il faut qu’on y aille.
    — Est-ce que le maître le sait ?
    — C’est de lui que je l’ai moi-même appris. Tout à l’heure, l’Escot* s’est présenté à lui couvert de son propre sang. Le maître s’est hâté de lui prodiguer des soins avant de rentrer pour prendre en vitesse ses sacs de selle. Il nous a dit de rester ici, qu’il se chargeait de conduire Sam à Caen et de ramener dame Jehanne.
    — De ramener dame Jehanne ?
    — Oui. Je ne sais pas tout ce que l’Escot* a dit au maître, mais elle est déjà là-bas, sûrement avec Sam qui est à l’infirmerie des moines. Tout va bien, il est hors de danger. Venez, à présent. Même si nous avons reçu l’ordre de rester, ils ont besoin de nous.
    — Mais je ne suis qu’un vieil homme. Je ne peux pas ! cria Lionel en se jetant à genoux devant le petit crucifix qui était accroché au mur de la grande pièce.
    Les yeux fixes, il dit, comme pour lui-même :
    — J’aimerais bien voir Louis.
    Le monde était devenu trop houleux à son goût. Il était empli des vestiges de nefs broyées. Et lui, l’esquif vulnérable, se sentait soudain la nécessité de s’amarrer à cet îlot volcanique, à cet individu dont la logique inébranlable résistait aux cyclones.
    *
    Jehanne n’en pouvait plus. Debout dans un cuvier à demi rempli d’un liquide presque bouillant qui lui avait rougi et enflé les jambes, la robe retroussée jusqu’en haut des hanches, elle suffoquait. Elle n’arrivait plus à distinguer Desdémone qui vaquait à quelque autre occupation dans sa chambre encombrée et saturée d’humidité aigre. La vapeur piquante de la fumigation abortive la faisait larmoyer. Du moins essayait-elle de se persuader que la faute en incombait aux seuls effets de la mixture.
    Un peu plus tôt, alors que Desdémone avait achevé de verser l’eau bouillante dans son cuvier, elle avait dit à Jehanne :
    — Rendez-moi donc service, ma petite dame, voulez-vous ? Ce parchemin, là, sur ma

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