Le Sang d’Aphrodite
Le garçon se pencha vers lui pour s’assurer qu’aucune arme n’était dissimulée dans les poches et les plis de son ample pantalon. Il rejeta d’un coup de pied le caftan et le ceinturon auquel était attaché un long poignard.
— Debout ! ordonna-t-il en écartant son épée. Et surtout, pas de gestes brusques ! Sinon, je t’embroche avant que tu puisses dire un mot !
Pendant qu’Igor se relevait, Philippos recula et jeta un regard vers la jeune veuve. Elle était prise de frissons et fit entendre un son inarticulé.
— Courage, dame Vesna ! lui lança le garçon. Tiens bon, tu seras bientôt libre !
Puis il menaça de son épée Igor qui avait repris contenance et enchaîna :
— Tu l’as droguée, hein ? Espèce de monstre maudit par Dieu et les hommes, tu vas enfin payer pour tous tes crimes. Combien de victimes innocentes as-tu sacrifiées pour satisfaire tes goûts pervers ?
— Pauvre nigaud ! lâcha Igor. Je te croyais moins sot. Mes « victimes », comme tu dis, étaient loin d’être innocentes… Et elles étaient toutes consentantes ! Quant à mes goûts, ce n’est pas à un blanc-bec d’en juger.
— Le blanc-bec se contentera de te châtier ! Je n’ai pas assez de patience pour attendre le verdict du Tribunal, tu me dégoûtes trop. Le boyard Artem est persuadé que tu as le cerveau dérangé, mais je ne suis pas de cet avis, malgré l’énormité de tes crimes. Tu t’en prends à de faibles femmes et tu leur fais tourner la tête. Le bel exploit ! Il ne te suffit pas de les contraindre à l’acte charnel, il faut encore qu’elles soient humiliées… À propos, préfères-tu les parfumer de leur vivant – ou un peu plus tard, lorsque tu t’acharnes sur leur cadavre ?
Igor s’empourpra de fureur, mais parvint à se dominer.
— Qui est fou, de nous deux ? cracha-t-il avec mépris. Tu t’introduis ici comme un voleur, tu te rues sur moi comme un enragé, tu tiens des propos délirants… C’est l’enquête de ton père qui t’a troublé l’esprit ? Allez, cesse d’agiter ce morceau de ferraille qui te sert d’épée et pose-le sur le sol ; ne m’oblige pas à te désarmer !
Il s’avança vers Philippos, mais celui-ci le fit reculer en brandissant son arme.
— Reste où tu es ! Je t’ai prévenu : un geste imprudent, et je te passe mon épée au travers du corps ! Au fait, le mandat d’arrêt est signé, ajouta-t-il avec une feinte assurance. Le boyard Artem et les Varlets ne vont pas tarder à nous rejoindre. En attendant, c’est moi qui commande !
Igor leva les yeux au ciel d’un air excédé.
— La plaisanterie a assez duré ! Qu’un jeune benêt montre un excès de zèle, c’est compréhensible, bien qu’impardonnable. Mais que le perspicace boyard Artem se laisse abuser par des commérages malveillants… je refuse de le croire ! Je sais qu’il abhorre la luxure, mais je compte sur son jugement et sa connaissance du cœur humain. Il sait bien qu’un amateur du beau sexe ne ferait jamais de mal à une femme !
— Épargne-moi tes tirades et tes grimaces, jeta Philippos, dégoûté. Je t’ai pris en flagrant délit ! Tu t’apprêtais à accomplir ce rituel barbare qui précède chacun de tes crimes : parfumer ta victime et lui faire boire cet élixir qui fouette le sang.
Igor émit un rire forcé.
— Petit sot ! Apprends à ne point prendre pour lanternes des vessies, avant d’aller jouer les limiers ! Moi aussi, je connais les rumeurs concernant le meurtrier aux aromates, mais cette sombre histoire n’a rien à voir avec moi. J’ignorais que ce fou avait lui aussi un penchant pour les parfums capiteux.
— Tu mens ! lâcha Philippos entre ses dents. Et puis, il ne s’agit pas de n’importe quel parfum, mais du Sang d’Aphrodite.
— En effet, j’aime cet élixir et je m’en sers volontiers. Mais je ne suis pas un pervers, et je n’ai jamais pris une femme de force. Quant à cette diablesse de Vesna, elle m’a aguiché et a accepté de me suivre jusqu’ici, avant de changer d’avis. Une véritable girouette ! Alors je lui ai donné de quoi se détendre dans l’espoir qu’elle serait, hum… dans de meilleures dispositions. Voilà tout mon crime !
— Tu persistes à nier tes forfaits ? s’indigna Philippos. Même ta sœur Théodora connaît tes ignobles pratiques – encore que j’ignore qui l’en a informée.
— Et de quoi l’a-t-on informée, au juste ? s’enquit Igor
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