Le Sang d’Aphrodite
échangé quelques formules de courtoisie, rien de bien important. Il a une moustache aussi longue que la tienne, en mémoire de ses ancêtres.
— Une chance qu’il t’ait déjà rencontré ! fit Artem. Ta présence lui paraîtra moins déplacée. En fait, il s’agit de sa fille, Olga.
— Oh ! Je la connais aussi… enfin, un peu. C’est un beau brin de fille ! observa Philippos avec un sourire de connaisseur.
— C’ était une belle fille, rectifia Artem.
Le sourire du garçon s’évanouit tandis que le droujinnik expliquait :
— Une servante a découvert son cadavre tout à l’heure, sous une tonnelle située dans le jardin de la propriété. Apparemment, Olga s’y était rendue hier au soir. Ce n’est que ce matin que sa suivante a donné l’alarme. Elle a découvert Olga la gorge tranchée, gisant dans une mare de sang. Son père m’a fait quérir un peu plus tard. Malgré son chagrin, il s’est souvenu de ma consigne que le prince avait rendue publique…
— L’oukase qui interdit de déplacer quoi que ce soit sur les lieux d’un crime ? dit Philippos qui était parvenu à maîtriser son émotion.
— C’est ça. J’ai donc pu contempler le même spectacle atroce…
Le prince lui lança un regard de mise en garde et s’exclama :
— Pauvre Edrik ! Je l’ai rencontré alors que mon père venait d’être nommé grand-prince. Il avait vraiment fière allure à l’époque !
— Je m’en souviens, moi aussi, acquiesça Artem. Mais ce matin, c’est un pauvre vieillard tout tremblant que j’ai vu.
Le visage du prince se rembrunit.
— J’aimerais tant l’aider à traverser cette épreuve !
— La seule chose qui puisse l’aider, c’est la nouvelle que l’infâme meurtrier a été arrêté, répliqua Artem, et qu’il attend le juste châtiment de son crime. D’ailleurs, Edrik réclame à cor et à cri la tête de l’assassin.
— Sauf que la peine de mort n’existe plus, rappela machinalement Philoppos. Elle a été abolie conformément à la décision des suzerains de toutes les principautés.
— Merci d’avoir rafraîchi la mémoire à deux pauvres gâteux ! railla Artem. Encore un commentaire de ce genre, et tu iras causer avec les gardes : je suis sûr qu’ils apprécieront tes remarques instructives !
Tandis que Philippos s’empourprait, Vladimir déclara :
— J’ai pris ma décision. En vertu de l’antique droit au jugement de Dieu, j’autoriserai le vieux boyard à désigner un homme capable de le représenter lors du combat singulier. Je vais lancer un appel aux meilleurs guerriers de mon armée et j’assisterai Edrik dans son choix.
Vladimir se leva et se mit à marcher de long en large, se tournant tantôt vers le boyard installé sur la banquette, tantôt vers Philippos juché sur son tabouret.
— Il nous faut un homme de guerre habitué à manier le glaive aussi bien que la hache et la masse d’armes. J’imagine bien notre gaillard ! Ce combattant-né met son épée au service de la justice en temps de paix. C’est un justicier par la grâce de Dieu !
Les yeux brillants d’excitation, le prince s’immobilisa devant Artem qui, l’air sceptique, tiraillait sa longue moustache blonde striée de gris.
— Tu viens de décrire un personnage de légende, observa le droujinnik. Je connais ton amour des bylines et des mythes, prince.
— Au Diable les mythes ! s’écria Vladimir. Les braves qui se battent pour la juste cause, c’est le sel du peuple russe ! Aurais-tu oublié, boyard, ces noms illustres : Ilia de Mourom, Aliocha fils de pope, Dobrynia Nikititch 1 … J’ai l’impression de les voir déjà, devant moi, en chair et en os !
— Moi aussi : il suffit d’imaginer le géant Mitko habillé en laboureur, un énorme gourdin à la main ! approuva Philippos en souriant.
Il s’empressa d’ajouter :
— Pour sûr, le meurtrier d’Olga sera écrasé comme un moucheron ! Encore faut-il l’attraper d’abord… Avons-nous réussi à recueillir quelques indices ?
Vladimir hocha la tête avec bienveillance. Il alla s’installer à sa table de travail et déroula un carré d’écorce de bouleau vierge.
— Ton fils a raison, boyard, approuva-t-il. Je ferais mieux de prendre des notes pendant que tu continues à exposer l’affaire.
Artem s’éclaircit la voix avant de poursuivre son récit.
— L’arme du crime n’a pas été retrouvée, mais on peut s’en faire une idée
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