Le sang des Borgia
la joue :
— Cet enfant est de toi. C’est bien douloureux.
Il resta silencieux pendant un long moment, puis dit :
— Il faut que je renonce à ce chapeau de cardinal ; je ne veux pas qu’un enfant de moi soit un bâtard.
Elle lui mit un doigt sur la bouche :
— Mais, s’il est de toi, il ne peut être de moi.
— Il va nous falloir réfléchir. Quelqu’un d’autre est au courant ?
— Personne. J’ai quitté Rome le jour où j’ai été sûre.
Après les funérailles de Juan, le pape s’enferma dans ses appartements et, malgré les supplications de son entourage, refusa des jours durant de parler à qui que ce soit – Julia comprise –, se nourrissant à peine. De l’autre côté des portes de bronze, on l’entendait prier à voix haute et pousser des cris de remords tandis qu’il suppliait Dieu de lui accorder son pardon.
Car il avait commencé par des paroles de colère, agitant le poing à l’adresse du Créateur :
— Père, à quoi bon sauver les âmes de milliers d’hommes quand la perte de celui-là me cause tant de souffrance ? Me punir de mes péchés par la mort de mon fils, quelle injustice ! L’homme est en proie à bien des faiblesses, mais un Dieu ne se doit-il pas d’être miséricordieux ?
Par moments, on l’aurait pris pour un fou. Les cardinaux se succédaient devant sa porte, frappant en vain, le suppliant de les laisser entrer pour prendre part à sa souffrance. Mais il refusait toujours. Puis il y eut des cris qu’on entendit dans tout le Vatican : « Oui, mon Dieu, oui, je comprends ! Votre Fils aussi a été mis à mort… » Après quoi, ce fut le silence pendant deux jours.
Quand Alexandre finit par ouvrir, il était très pâle et très amaigri, mais semblait avoir enfin trouvé la paix. Il annonça à tous ceux qui se pressaient à l’entrée :
— J’ai fait vœu à la Madone de réformer l’Église, et sans retard. Convoquez le consistoire, que je m’adresse à ses membres.
Le pape déclara aux cardinaux ainsi réunis qu’il renoncerait volontiers à sa charge, si cela pouvait lui rendre son fils. Mais, comme c’était impossible, il entreprendrait au moins de réformer l’Église, car le meurtre de Juan lui avait fait comprendre la gravité de ses propres péchés.
Il évoqua son chagrin, dénonça sa propre ignominie et celle de sa famille, avec une détresse évidente. Il ajouta qu’il avait offensé la Providence, et réclama la création d’un comité chargé de faire des suggestions en vue de grands bouleversements.
Le lendemain, Alexandre écrivit aux rois de la chrétienté, leur apprenant sa tragédie, comme son intention de procéder à des réformes. Chacun fut à ce point convaincu de sa sincérité que Rome tout entière lui témoigna sa sympathie, et que deux de ses plus grands ennemis, le cardinal Della Rovere et Savonarole, lui firent parvenir des lettres de condoléances.
Il semblait qu’une ère nouvelle allait commencer.
13
Alexandre pleurant toujours son fils, Brandao s’en vint voir César pour lui suggérer, une fois qu’il aurait couronné le roi de Naples, de se rendre à Florence, que l’invasion française avait mise sens dessus dessous. Pour le moment, afin d’améliorer les rapports entre la papauté et la Signoria qui dirigeait la ville, de tenter de restaurer le pouvoir des Médicis, et de voir quel danger exact représentait Savonarole, il fallait envoyer là-bas quelqu’un de sûr, qui saurait discerner le vrai du faux dans les rumeurs parvenant à Rome. Duarte expliqua :
— On dit que ce frère dominicain, Savonarole, est devenu encore plus influent ces derniers mois, et qu’il dresse le peuple de Florence contre le pape.
Alexandre lui avait déjà interdit de prêcher tant qu’il ne serait pas venu à Rome faire pénitence devant lui ; il avait également menacé d’interdit ceux qui écoutaient ses sermons enflammés. Mais rien ne semblait pouvoir retenir le prophète.
L’arrogance de Piero de Médicis lui avait aliéné les Florentins ; et les violents discours de Savonarole nourrissaient parmi le peuple un vif désir de réformes. Les riches marchands de la ville, quant à eux, pensaient que leur opulence leur donnait le droit d’intervenir dans les affaires de la cité. Tout cela ne pouvait, à long terme, que saper le pouvoir pontifical.
César sourit :
— Et peux-tu me garantir que je ne serai pas poignardé dès mon arrivée à Florence ? Ils pourraient vouloir faire un
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