Le secret d'Eleusis
quand...
— Il a dit : chaque chose en son temps, martela le garde du corps.
Édouard lui lança un regard glacial. Habituellement, les gardes du corps des Nergadze se gardaient bien de parler en la présence de leurs supérieurs, mais celui-ci semblait plus décontracté que les autres. Âgé d’une quarantaine d’années, il portait un pull à col roulé sous sa veste noire. De plus, il était mal rasé, peut-être pour mieux exhiber la cicatrice qui dessinait un croissant blanc au milieu de sa barbe de trois jours.
— Excusez-moi, je crois que nous n’avons pas été présentés, répliqua Édouard .
— Boris Dekanosidze, chef de la sécurité, annonça Sandro. Je voulais que vous fassiez connaissance, car vous allez travailler ensemble dans les jours qui viennent.
— Je vous demande pardon ?
— Vous partez pour Athènes ce soir. Dès la fin de cet entretien, pour être précis.
— Je ne vais nulle part. Je pensais avoir été clair : je n’accepterai plus de commission de votre part tant que vous n’aurez pas honoré votre...
— Vous accepterez toutes les commissions que l’on vous dira d’accepter, intervint Ilya.
— Nous aurons tout le temps de procéder au transfert du trésor à votre retour, ajouta Sandro sur un ton plus conciliant. Mais pour l’instant, nous devons régler une affaire urgente et nous avons besoin de votre aide.
Il fit un signe de tête à Boris. Celui-ci glissa une enveloppe en papier kraft sur le bois de rose poli. Édouard l’ouvrit avec réticence, puis lut les documents qu’elle contenait avec une stupéfaction grandissante.
— C’est une plaisanterie ! s’exclama-t-il enfin.
— Mon petit-fils Mikhaïl va se rendre sur place demain matin pour voir l’objet en question, déclara Ilya. Vous irez avec lui.
— Vous n’avez même pas de petit-fils prénommé Mikhaïl ! s’étrangla Édouard .
— Vous croyez ?
Édouard resta sans voix.
— Boris vous accompagnera, précisa Sandro pour rompre le silence. Il achètera l’objet une fois que vous l’aurez authentifié.
— Si je l’authentifie, vous voulez dire, rectifia Édouard .
Une expression de profonde irritation assombrit le visage d’Ilya.
— Cessez de prétendre que vous savez mieux que nous ce que nous voulons dire, murmura le patriarche.
Le silence envahit de nouveau la pièce. Puis un éclat de rire tonitruant retentit au loin dans la maison, avec un tel à-propos qu’Édouard ne put s’empêcher de penser que les hôtes des Nergadze étaient en train de le regarder sur un écran de surveillance. Ce n’était pas la première fois qu’il constatait à quel point il était insignifiant aux yeux du clan. La campagne présidentielle battait son plein et Ilya progressait dans les sondages. C’était tout ce qui comptait.
— Vous ne croyez tout de même pas que je vais authentifier un faux ! s’indigna Édouard.
— Ce ne sera pas un faux, fit remarquer Sandro, puisqu’un homme de votre réputation l’aura soigneusement examiné.
— Cela ruinerait ma carrière. Je refuse de faire ça.
— Vous allez le faire, décréta Ilya.
Édouard s’efforça de sourire, conscient de n’avoir aucune chance dans la confrontation.
— Écoutez, dit-il, j’aimerais pouvoir vous aider, vraiment, mais je ne peux pas. Pas ce week-end. Ma femme m’en veut terriblement de l’avoir délaissée ces derniers temps. Elle m’a lancé un ultimatum. Elle veut que nous passions ce week-end ensemble, sinon... Vous savez comment sont les femmes.
— Ne vous inquiétez pas pour votre femme, le rassura Ilya.
— Vous ne comprenez pas, insista Édouard. Je lui ai donné ma parole. Si je...
— Vous n’avez aucun souci à vous faire pour elle, répéta Ilya.
Il y avait quelque chose d’étrange dans sa voix.
— C’est-à-dire ? l’interrogea Édouard.
— Je veillerai personnellement sur votre femme et vos filles pendant toute votre absence. Et sur votre charmant petit garçon, bien sûr.
Édouard avait une photo de famille dans son portefeuille. Il aimait la regarder quand il n’avait pas le moral. Elle lui vint à l’esprit spontanément : plus corpulent qu’il n’aurait aimé l’être, il avait néanmoins fière allure dans son costume, avec sa cravate jaune qui contrastait de manière légèrement provocante avec le noir que portaient presque tous les autres hommes de Tbilissi, comme si toute la nation était en deuil. Nina était vêtue de sa
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