Le secret d'Eleusis
le remplacer au pied levé. Mais il restait l’intervention d’Augustin. Nico leva les yeux vers Gaëlle, qui attendait d’être sûre de pouvoir le laisser.
— Vous dites que Knox est en cellule ? demanda-t-il.
— Oui.
— Ma belle-sœur est avocate au pénal. C’est la meilleure que l’on puisse trouver à Athènes. Tous les flics ont peur d’elle. C’est exactement la personne qu’il lui faut. Je peux l’appeler si vous voulez.
— Ce serait très gentil de votre part.
Nico sentit de nouveau son cœur se serrer dans sa poitrine. Il leva la main pour demander à Gaëlle d’attendre avec lui que la douleur passe, et la laissa levée pour prévenir l’indignation dont la jeune femme serait la proie lorsqu’elle aurait entendu ce qu’il s’apprêtait à lui dire.
— Voici ce que je vous propose, commença-t-il. Ne vous méprenez pas, j’appellerai Charissa même si vous refusez.
— Si je refuse quoi ?
— Le texte et les visuels d’Augustin ont déjà été téléchargés sur le prompteur. Il suffit que quelqu’un lise ses notes. Quelqu’un qui maîtrise le sujet et connaisse suffisamment bien Alexandrie pour avoir du crédit auprès de l’auditoire et répondre aux questions de manière pertinente. Quelqu’un qui soit digne de remplacer Augustin aux yeux des congressistes.
— Moi ? s’étonna Gaëlle. Mais je suis loin de connaître Alexandrie suffisamment bien, je vous assure !
Nico la regarda un instant avec stupéfaction. L’égalité des sexes était un des aspects de la vie moderne auquel il ne s’était jamais vraiment habitué.
— Ce n’est pas vraiment à vous que je pensais, avoua-t-il avec circonspection. Je pensais plutôt à Knox.
Gaëlle tressaillit lorsqu’elle comprit les termes du marché. Néanmoins, elle accepta.
— Sortez-le de sa cellule ce soir et il remplacera Augustin. Vous avez ma parole.
— Vous pouvez vous engager en son nom, n’est-ce pas ?
— Absolument, déclara Gaëlle sur un ton catégorique.
II
Il y avait une chaudière à l’angle de la salle d’interrogatoire du commissariat. De temps à autre, elle se mettait à chauffer comme une bouilloire pendant quelques minutes en faisant vibrer et cliqueter la tuyauterie, avant de s’éteindre brusquement. L’unique fenêtre n’étant jamais ouverte, la pièce était très humide et les murs suintaient comme s’ils avaient de la fièvre. Knox aussi sentait l’humidité s’insinuer dans son corps, aussi sournoisement que la culpabilité. Il s’adossa à sa chaise et croisa les mains en essayant, sans succès, de chasser ses souvenirs. Ceux-ci défilaient dans son esprit comme les images d’un diaporama : Augustin étendu sur le sol de la chambre d’hôtel, la tête couverte de sang ; les infirmiers le hissant sur la civière ; les larmes et la douleur de Claire, qui le tenait par la main.
Knox avait rencontré Augustin dix ans auparavant. Le Français avait organisé une soirée en l’honneur de Richard Mitchell, le vieux mentor de Knox, et invité tous les grands archéologues d’Alexandrie. Richard, comme toujours, s’était laissé distraire en chemin. Au Pastroudi, un beau et jeune serveur qui minaudait en battant des cils n’avait cessé de lui apporter des pâtisseries qu’il n’avait pas commandées. Richard avait donc demandé à Knox de ne pas l’attendre et de l’excuser. Le tempérament gaulois d’Augustin ayant été notoire, Knox avait craint pour ses tympans, mais tout s’était bien passé. Augustin et lui s’étaient tout de suite bien entendus et s’étaient liés d’une amitié rare, de celles qui semblaient avoir toujours existé et promettaient de ne jamais s’éroder. Depuis, à chaque fois qu’il avait eu des problèmes, Knox s’était tourné vers Augustin, qui avait toujours été là pour lui. Alors pourquoi n’avait-il pas réagi lorsqu’il avait vu son ami se faire tabasser aussi sauvagement ?
La porte s’ouvrit. Theofanis, l’officier de police à l’œil vif qui avait recueilli la déposition de Knox un peu plus tôt, entra dans la salle d’interrogatoire. Un autre homme l’accompagnait. Il avait une allure décontractée mais, d’après son comportement et la déférence de Theofanis à son égard, il devait s’agir du patron. Il vint se planter en face de Knox.
— Vous parlez grec, n’est-ce pas ? l’interrogea-t-il.
— Je me débrouille, admit Knox.
Il avait étudié le grec ancien à
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