Le secret d'Eleusis

mine de bondir, grogna et montra les crocs, mais ne semblait pas très déterminé. Se refusant à reculer, elle vit son regard s’embuer. Il détourna les yeux pour faire semblant de ne plus s’intéresser à elle et attendit de voir quel tour elle allait lui jouer. Mais elle demeura parfaitement immobile et silencieuse. Il la regarda de nouveau, sans grogner, cette fois, le regard triste et mouillé. Elle savait qu’il ne fallait pas projeter des sentiments humains sur les animaux mais, à cet instant, elle perçut chez lui un profond chagrin ; il s’était vu confier la garde de la maison, et il avait échoué. Elle s’accroupit lentement, la main tendue vers lui et tout bascula. La tête baissée et la queue basse, il la renifla et fourra son museau humide dans sa paume. Puis il retourna aussitôt à ses bols et se mit à laper de l’eau avec avidité.
    Elle s’approcha avec précaution, en murmurant, pour qu’il ne la considère pas comme une menace et lui caressa la tête et le dos. Il avait le poil rare et couvert de croûtes, l’arrière-train enflammé et taché d’excréments. Il termina son jambon et leva les yeux au-dessus de son bol vide. Il ne sembla ni exiger ni attendre davantage, mais simplement espérer. Contre toute attente, Gaëlle éprouva une pointe d’affection pour lui. Elle remplit de nouveau sa gamelle, puis alla s’asseoir contre un oranger et le regarda se régaler avec satisfaction.
    III
    Mikhaïl vit le corps Édouard se fracasser contre le mur et s’effondrer dans la douche en emportant avec lui le rideau de couleur opaline taché de sang. Il sentit des éclaboussures sur son visage et ses mains. Il se regarda dans la glace, au-dessus du lavabo, et s’essuya grossièrement.
    Sur le carrelage, le téléphone portable d’Édouard se mit à vibrer en tournant sur lui-même. La sonnerie avait été éteinte, mais quelqu’un essayait d’appeler. Mikhaïl ramassa le portable et décrocha.
    — Oui ?
    — Je souhaite parler à Édouard, déclara une voix d’homme.
    — Trop tard.
    — Qui est à l’appareil ?
    — Je pourrais vous retourner la question.
    — Édouard est sous ma protection. S’il lui arrive quoi que ce soit...
    — Comme je vous l’ai dit, il est trop tard.
    Mikhaïl raccrocha et fit défiler la liste des appels récents. Il n’y avait aucun appel local, que des appels vers la Géorgie. C’était déjà ça. Ils avaient sans doute encore du temps devant eux avant que la police grecque ne débarque ici.
    — Boris, appelez mon père à Nikortsminda, lui ordonna Mikhaïl. Prévenez-le que la famille risque d’avoir des problèmes. Ensuite, appelez notre pilote. Dites-lui de se tenir prêt.
    Il consulta sa montre.
    — Décollage dans trois heures, estima-t-il. Nous devons d’abord récupérer la Toison d’or.
    — La Toison d’or ? répéta Boris. Vous êtes sérieux ? Il est trop tard pour s’en préoccuper.
    — C’est la clé de notre victoire aux élections, rétorqua Mikhaïl. Et cette victoire est la seule façon pour nous de nous en sortir.
    Il fit signe à ses hommes de le suivre sur la mezzanine.
    — Il faut brûler la maison, dit-il. Zaal, rassemblez tout ce qui brûle sous la mezzanine. Prenez tout ce que vous trouverez : draps, matelas, chaises, rideaux, tapis, tout ! Davit, nous allons avoir besoin de substances inflammables. Allez chercher le sac de charbon de bois qui se trouve à côté du barbecue. Regardez s’il y a du white-spirit dans les placards, de l’essence à briquet, n’importe quel liquide inflammable. Siphonnez le réservoir des voitures s’il le faut.
    — Oui, monsieur.
    — Et nos invités ? s’enquit Boris en faisant un signe de tête en direction de Nadia et Knox.
    — On emmène Knox avec nous, annonça Mikhaïl en dévalant l’escalier. Il sait où se trouve la Toison d’or.
    — Et la femme ?
    — On s’en débarrasse.
    Mikhaïl ouvrit son fusil et fit tomber les deux cartouches vides en savourant l’odeur guerrière qui se dégageait de la fumée grise et acre. Puis il se dirigea vers Nadia à grandes enjambées, tout en rechargeant son arme. Elle poussa un cri ; ses lèvres arrondies dessinaient la mouche d’une cible.
    — Ne faites pas ça ! cria Knox. Sinon, je vous jure que je ne vous donnerai pas la Toison d’or.
    — Vous me la donnerez, assura Mikhaïl.
    — Si vous la tuez maintenant, j’aurai la preuve que vous me tuerez aussi. Alors pourquoi vous donnerais-je