Le secret d'Eleusis
Argo jusqu’à son enclos. Elle s’attendait à ce qu’il résiste, mais il la suivit sans broncher. Peut-être avait-il repéré ses bols. Elle retira la laisse du collier, sortit et referma la porte derrière elle. Elle resta là un moment en se demandant ce qu’elle pouvait faire d’autre.
Il avait le poil hérissé. Il aurait bien eu besoin d’un coup de brosse, mais elle ne pouvait tout de même pas utiliser la sienne. Et elle venait de se servir du balai pour nettoyer l’enclos ; il était trop sale. Elle retourna farfouiller à la maison. Elle alla voir ce qu’elle pouvait trouver dans la chambre, la salle de bains, puis se rendit à la cuisine. Là, elle tira brusquement sur un tiroir coincé et vit rouler une ampoule rouge. Qu’est-ce que Petitier pouvait bien en faire ? Ce genre d’ampoule n’avait pas trente-six usages, pensa Gaëlle, et il était peu probable que Petitier ait été le tenancier d’une maison close...
Gaëlle retourna dans le séjour et regarda le mur orné de photos en noir et blanc. Le développement et le tirage du noir et blanc avaient pour ainsi dire disparu, dans le commerce. Il n’y avait tout simplement plus de demande. Gaëlle observa les clichés de plus près. Sur l’un d’eux, le soleil avait été surexposé pour créer un effet éclatant, une astuce classique chez les photographes amateurs. Il n’y avait qu’une seule explication logique : Petitier avait une chambre noire.
III
Nadia ne se donnait pas plus d’une demi-heure.
Elle prit place à l’arrière de la Mercedes. Mikhaïl avait accepté qu’elle ait les mains attachées devant elle et non dans le dos en raison de ses blessures. Elle évita de regarder sa chair à vif, car cela ne faisait qu’augmenter la douleur. Elle contempla l’arrière du crâne de Zaal, sa calvitie naissante, la façon dont sa peau s’étendait et se plissait de nouveau contre son col lorsqu’il regardait dans les rétroviseurs, le duvet sombre qui avait poussé depuis sa dernière coupe de cheveux. C’était étrange de penser que ce serait peut-être la dernière chose qu’elle verrait.
Dans vingt minutes, Boris et Davit arriveraient au parking de l’aéroport. Ils ordonneraient à Knox de leur montrer où il avait caché la clé. Il blufferait pendant un moment, cinq minutes environ. Et Boris finirait par perdre patience. Il ne croyait pas vraiment à cette histoire de clé et de Toison d’or, de toute façon. Personne n’y croyait, excepté Mikhaïl. Ainsi, dans vingt-cinq minutes, il appellerait pour annoncer la mauvaise nouvelle, ce qui laisserait à Nadia encore cinq minutes, pendant lesquelles Mikhaïl exercerait sur elle une horrible vengeance, avant de la tuer.
Les pneus de la Mercedes faisaient un bruit de roulement de tambour sur la route couverte de rustines. Le revêtement était tour à tour rugueux et lisse. Nadia trouvait cette alternance rythmée étrangement apaisante. Des hautes herbes, affûtées comme des armes, avaient poussé le long de la route. Mikhaïl posa sur son otage un regard amusé.
— Il y a quelque chose que je n’ai jamais compris, avoua Nadia.
— Quoi donc ? l’interrogea Mikhaïl.
— La nuit où vous avez tué mon mari, pourquoi ne m’avez-vous pas tuée, moi aussi ?
— Vous étiez une jolie fille. Je ne tue jamais une jolie fille. Pas avant de l’avoir baisée.
— Vous ne m’avez toujours pas baisée, fit remarquer Nadia. Ça veut dire que vous allez me garder en vie ?
— Vous n’êtes plus une jolie fille.
Nadia poussa un petit ricanement amer et détourna les yeux. Elle évalua ses chances d’évasion. Toutes les portières étaient verrouillées et les vitres teintées empêchaient de voir l’intérieur de la Mercedes depuis l’extérieur. Elle n’avait aucune arme à brandir, à part peut-être la mallette en acier remplie de billets, qui était posée à l’avant, côté passager. Trop encombrante pour un espace aussi réduit, celle-ci aurait été davantage adaptée pour faire office de bouclier. Nadia pouvait peut-être la jeter sur Zaal, tourner le volant, provoquer un accident. Ou simplement ouvrir la portière et se jeter dehors. Une fracture du bras ou de la jambe, ce n’était qu’un faible prix à payer.
Mikhaïl, qui avait dû lire dans ses pensées, se pencha pour s’assurer que sa portière était bien verrouillée. Puis il lui sourit et lui montra la pointe de son couteau de cuisine. À ce moment-là, elle réalisa
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