Le secret d'Eleusis
les musiciens ne pouvaient pas encore jouer et se déplacer simultanément. Une mini-tornade tourna les pages d’un vieil annuaire abandonné, qui semblait applaudir. Des sacs en papier et des emballages de bonbons se mirent à tourbillonner en décrivant de minuscules cercles, comme des rubans de gymnastes.
Knox sortit le papier sur lequel Nico avait noté l’adresse d’Antonius et se renseigna auprès des passants, jusqu’à ce que quelqu’un lui indique la direction à prendre. Il traversa un grand parking, presque vide, à l’exception des voitures des usagers de la piscine, qu’il entendait crier et s’ébattre dans l’eau. De l’autre côté de la route principale, il croisa une femme qui promenait son chien. Elle lui montra du doigt une rue longée de maisons mitoyennes assez somptueuses, précédées de policiers endormis, de voitures briquées et de quelques bennes à ordures remplies de moquette arrachée. Mais il n’y avait aucune trace de cet embourgeoisement devant la maison d’Antonius, qui avait l’air d’une dent gâtée au milieu d’un sourire parfait. Le jardin était une véritable jungle ; les murs étaient couverts de lierre. La propriété semblait repliée sur elle-même, comme son propriétaire.
Knox sonna. Pas de réponse. Il colla son oreille à la porte, mais les voisins étaient en pleins travaux. Avec les coups de marteau et le vrombissement des perceuses, il était impossible d’entendre quoi que ce soit. Il frappa à la porte, puis regarda par les fenêtres du rez-de-chaussée. Aucun signe de vie. La boîte aux lettres, fixée sur le portail d’entrée, débordait de prospectus. C’était de plus en plus inquiétant. Antonius était peut-être parti à cause du bruit des travaux mais, après la mort de Petitier et sa brève rencontre avec Mikhaïl Nergadze, Knox avait des raisons de craindre le pire.
Une petite allée étroite longeait le côté de la maison. La peinture, qui avait cloqué, était balafrée comme si elle avait perdu un combat au couteau. Knox repéra une fenêtre à guillotine entrouverte. Il essaya de la soulever et y parvint sans difficulté. S’il était parti pour quelques jours, Antonius l’aurait sans doute fermée. Knox regarda autour de lui pour s’assurer que personne ne pouvait le voir et se faufila à l’intérieur. Il y avait une odeur aigre dans la maison, une odeur de décomposition.
— Il y a quelqu’un ? cria Knox.
Toujours pas de réponse. Il enfila un couloir qui menait à la cuisine. Les volets des fenêtres de derrière étaient fermés ; la porte était bloquée par des piles de caisses et de cartons. Un croûton de pain à moitié mangé avait rassis sur une assiette et pris une couleur verdâtre.
Knox regarda de l’autre côté du couloir. La moquette des toilettes était trempée. Il continua à avancer et arriva dans une pièce obscure, meublée d’une table et de quelques chaises en pin, dont les jointures étaient grossièrement enduites d’archipels de colle blanche. Les murs étaient si humides que le vieux papier peint se décollait. Le soleil de l’après-midi perça à travers les stores à lamelles et projeta une grille lumineuse sur le tapis marron, à moitié recouvert d’enveloppes déchiquetées et de documents dispersés : factures, injonctions, réclamations, courriers virulents de fournisseurs. Une vie qui tombait en lambeaux.
Chez les voisins, les coups de marteau devinrent si violents que les murs se mirent à vibrer. Des grains de poussière se détachèrent de toutes parts et vinrent irriter la gorge de Knox, qui toussa discrètement.
Quelques livres étaient empilés sur la table, comme si Antonius les avaient consultés récemment. Knox regarda le dos des couvertures : Robert Graves, Apollonios et quelques autres. Ils avaient tous un point commun : la Toison d’or. Il y avait également une série de documents imprimés sur Internet. Knox les feuilleta et découvrit divers articles à propos de milliardaires qui raflaient les œuvres d’art du monde entier. Certains noms étaient surlignés. Finalement, il tomba sur un papier commentant l’achat par Ilya Nergadze d’un trésor géorgien découvert au Turkménistan.
Un voyant vert clignotait sur le répondeur. Knox appuya sur la touche lecture avec l’articulation de son index pour ne pas laisser d’empreintes digitales. Il entendit plusieurs bips entrecoupés de silences, certains correspondants n’ayant pas laissé de
Weitere Kostenlose Bücher