Le secret d'Eleusis

la tête avec un air amusé.
    — Tout le monde pense que les Minoens étaient très civilisés parce qu’ils vénéraient des déesses et ornaient leurs palais de belles fresques pleines de lys et d’oiseaux, reprit-il. Mais ils ne l’étaient pas tant que ça. Nous avons trouvé un ossuaire d’enfants à Cnossos. Et d’après les marques de couteau observées sur les ossements, ces enfants ont visiblement été abattus comme on abat du bétail aujourd’hui pour le cuisiner.
    — Quelle horreur !
    — Les Minoens n’étaient pas pires que les autres. Toutes les civilisations ont fait ça. Ils ressemblaient bien plus aux peuples environnants que nous avons tendance à le croire. C’est d’ailleurs le postulat de base de mon livre.
    —  L’Egée pélasgienne et minoenne : un nouveau paradigme   ?
    — Lui-même ! s’exclama Iain en riant.
    Il prit quelques pierres éparpillées sur le toit et se mit à les lancer et à les rattraper machinalement.
    — Vous voyez, poursuivit-il, le peuple qui vivait dans l’Egée prémycénienne a aujourd’hui différents visages. Pour les Grecs, il s’agissait des Pélasgiens. Pour sir Arthur Evans, il s’agissait des Minoens. Est-ce le même peuple ? Et celui-ci avait-il un quelconque rapport avec les Philistins, les Peuples de la mer ou les Hyksos ? D’une manière plus générale, le bassin méditerranéen abritait-il des civilisations isolées qui n’avaient aucun lien entre elles ou bien était-il beaucoup plus homogène que la plupart des chercheurs ne veulent l’admettre ? Pour ma part, je défends la seconde hypothèse.
    — En dépit des indices archéologiques ?
    — Au contraire, en raison de ces indices ! De nombreuses découvertes archéologiques étayent mon point de vue. Du reste, lorsqu’il existe des différences entre les cultures, elles sont tout à fait logiques. Prenez la Crète et l’Égypte, par exemple. Au premier abord, ces deux pays n’ont rien en commun en termes de religion et de culture. L’un ne peut pas avoir subi l’influence de l’autre. Mais il ne faut pas oublier que la religion d’un peuple est façonnée par son environnement. Imaginez que vous viviez sur le...
    Iain laissa tomber une de ses pierres, jura dans sa barbe et la ramassa.
    — Imaginez que vous viviez sur le versant d’un volcan en activité, reprit-il. Vous auriez des dieux différents de ceux qui vivent près d’un fleuve comme le Nil, dont la crue inonde les terres une fois par an, non ?
    — Bien sûr.
    — Les prêtres égyptiens se sont efforcés de calculer le lever héliaque de Sirius, parce que l’observation de cette étoile permettait de prédire la crue, qui marquait de façon naturelle le début de l’année égyptienne. Les Minoens, en revanche, n’avaient aucune raison de fixer le début de l’année au moment du lever de Sirius, ni même d’attacher une importance particulière à cette étoile. Et pourtant, c’est ce qu’ils ont fait. Sirius a même fait partie intégrante de la religion grecque dans le cadre des mystères d’Éleusis.
    — Où voulez-vous en venir ?
    — Et si des Égyptiens entreprenants étaient venus s’établir ici, pour y fonder un comptoir, par exemple ? La Crète est le pivot de la Méditerranée, après tout. Dans ce cas, ils auraient certainement apporté leur religion et leur mythologie avec eux, car tous les peuples l’ont fait. Mais ils auraient sans doute fini par troquer leurs dieux fluviaux et solaires contre des dieux sismiques et volcaniques.
    Deux chauves-souris surgirent de l’ombre et fondirent sur des mouches, avant de disparaître aussi vite qu’elles étaient arrivées.
    — Théra était en activité bien avant son éruption finale, rappela Iain. Les chercheurs s’accordent à dire que le volcan a régulièrement connu de petites éruptions, événements qui ont dû exercer une grande influence sur la cosmogonie minoenne. Alors voici ma théorie : dans les mystères d’Éleusis, lorsque Perséphone a été enlevée par Hadès, il y a eu une lumière aveuglante et un vacarme épouvantable, comme si la terre se fendait en deux. Cela ne vous évoque rien ?
    Gaëlle se redressa un peu, intriguée par cette idée.
    — Vous ne pensez tout de même pas que les mystères d’Éleusis célébraient l’éruption de Théra ?
    — Pourquoi pas ? D’après le mythe, après l’enlèvement de Perséphone, Déméter, sa mère, a maudit la terre et l’a rendue