Le seigneur des Steppes
rapidement la
garnison la plus proche.
Lujan soupira. Trop de personnes étaient concernées pour que
le secret puisse être gardé. Les épouses des soldats avaient forcément prévenu
leurs amies et la nouvelle s’était répandue pendant la nuit en cercles sans
cesse plus larges. C’était peut-être pour cette raison que Yenking avait jugé
bon de ne pas inclure les familles dans l’ordre d’évacuation.
Devant les portes de la caserne, une foule se massait. Lujan
secoua la tête sans s’en rendre compte. Il n’aurait jamais pu sauver tous les
habitants et de toute façon il ne désobéirait pas aux ordres. Honteux de se
sentir soulagé de ne pas avoir à rester sur le chemin de l’armée mongole, il
tâcha de ne plus entendre les voix qui montaient de la rue dans la confusion et
la terreur.
Le soleil s’était levé et Lujan craignait déjà d’avoir trop
tardé. S’il n’avait pas décidé d’emmener aussi les familles des soldats, ses
troupes auraient pu quitter furtivement la ville pendant la nuit. En l’occurrence,
elles devraient traverser en plein jour une foule hostile. Il s’exhorta à être
impitoyable maintenant que sa décision était prise. Le sang coulerait si les
habitants devenaient furieux et ses hommes devraient peut-être se battre pour
parvenir à la porte du fleuve, distante de quatre cents pas. Elle ne lui avait
pas semblé si éloignée, la veille. Il aurait voulu qu’une autre solution se
présente mais son chemin était tracé ; bientôt, ce serait l’heure de
partir.
Deux de ses soldats passèrent en courant, chargés d’une
dernière corvée. Aucun d’eux ne le salua et il devina leur colère. Ces hommes
entretenaient sans doute des prostituées locales ou avaient des amis dans la
ville. Comme tous leurs camarades. Après le départ des troupes, il y aurait des
émeutes, les triades s’empareraient des rues. Certains criminels étaient
semblables à des chiens sauvages, à peine contenus par la menace de la force. Une
fois les soldats partis, ils se gaveraient jusqu’à ce que l’ennemi vienne les
déloger en incendiant la ville.
Cette pensée procura à Lujan une certaine satisfaction même
s’il éprouvait encore de la honte. Il s’efforça de garder les idées claires, de
se concentrer sur son ultime mission en ces lieux, faire sortir de la ville les
soldats et les chariots. Il avait posté des arbalétriers sur le trajet, avec
ordre de tirer dans la foule s’ils étaient attaqués. Si cela ne suffisait pas, les
piques empêcheraient les habitants d’approcher assez longtemps pour que la
colonne puisse quitter Baotou, il en était presque sûr. De toute façon, ce
serait violent et il ne tirerait aucune fierté de l’opération.
Un autre de ses soldats accourut vers lui et Lujan reconnut
l’un de ceux qu’il avait postés aux portes de la caserne. L’émeute avait-elle
déjà commencé ?
— Commandant, un homme souhaite vous parler. Je lui ai
dit de rentrer chez lui mais il m’a demandé de vous montrer ceci en assurant
que vous accepteriez de le voir.
Lujan regarda le petit morceau de coquillage bleu portant le
sceau de Chen Yi. Il se serait bien passé de cette visite alors que les
chariots étaient presque prêts et que les hommes avaient formé les rangs.
— Fais-le passer par la petite porte et assure-toi que
personne n’essaie d’entrer en même temps que lui.
Le soldat repartit, laissant Lujan à ses pensées. Chen Yi
mourrait avec les autres et personne ne connaîtrait jamais l’arrangement qu’ils
avaient conclu. Il avait été profitable pour chacun d’eux, mais Lujan ne
regretterait pas d’être enfin soustrait à l’influence du petit homme. Luttant
contre sa fatigue, il regarda le soldat revenir avec le chef de la Triade Bleue.
— Je ne peux rien faire pour toi, Chen Yi, prévint le
commandant tandis que le soldat retournait prendre sa place dans les rangs. J’ai
pour ordre d’évacuer Baotou et de rejoindre l’armée qui se rassemble devant
Yenking. Il m’est impossible de t’aider.
Lujan remarqua que Chen Yi portait un sabre à la hanche. Normalement,
le soldat aurait dû l’en délester avant de le laisser entrer, mais plus
personne ne se souciait des règles.
— Je pensais que tu me mentirais, répondit le petit homme,
que tu prétendrais partir en manœuvres ou à l’exercice. Je ne t’aurais pas cru,
bien sûr.
Lujan haussa les épaules.
— Tu as sans doute été l’un des premiers au courant,
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