Le seigneur des Steppes
l’excitation dans ses yeux.
— Tu emmèneras Djötchi, il te respecte. Je ne veux pas
qu’il soit traité en prince. C’est un garçon ombrageux, arrogant, dont il faut
corriger les défauts. Ne crains pas de le mâter en mon nom.
— À tes ordres, seigneur.
— Où iras-tu ?
Süböteï n’hésita pas, il avait réfléchi à sa réponse depuis
la bataille de la Gueule du Blaireau :
— Vers le nord, seigneur. Au-delà des terrains de
chasse de mon ancienne tribu, les Uriangkhais, et plus loin encore.
— Bien. Kachium ?
— Je resterai ici. Je veux voir cette ville tomber.
Gengis sourit devant l’expression déterminée de son frère.
— Ta compagnie sera la bienvenue. Jelme ?
— Vers l’est, Grand Khan. Je n’ai jamais vu l’océan et
nous ne savons rien de ces terres.
Gengis soupira. Lui aussi n’avait connu que la steppe et l’idée
était tentante. Mais il abattrait d’abord Yenking.
— Prends mon fils Chatagai avec toi. C’est un excellent
garçon, qui pourrait devenir khan.
Jelme inclina la tête, ému par l’hommage que Gengis lui
avait rendu. La veille encore, tous étaient inquiets et attendaient de voir
comment les guerriers réagiraient à l’annonce de la mort du khan. L’entendre
donner ses ordres restaurait leur confiance. Comme le murmuraient les guerriers,
Gengis avait manifestement la faveur des esprits.
— Arslan, je te veux auprès de moi quand la faim aura
poussé Yenking à se rendre, poursuivit Gengis. Puis nous rentrerons peut-être
lentement chez nous en jouissant de quelques années de paix dans les plaines…
— C’est un homme malade qui parle, frère, intervint
Khasar. Quand tu seras tout à fait rétabli, tu voudras me rejoindre dans le Sud
et cueillir les villes jin une par une comme des fruits mûrs. Te souviens-tu de
l’ambassadeur Wen Chao ? Pour moi, c’est Kaifeng et le Sud. J’imagine la
tête qu’il fera en me revoyant.
— Le Sud, donc. Mon fils Ögödei n’a que dix ans mais il
apprendra plus avec toi que s’il reste ici à fixer les murailles de Yenking. Je
ne garderai que le petit Tolui. Il adore le moine bouddhiste que tu as ramené
avec Ho Sa et Temüge.
— J’emmènerai aussi Ho Sa, dit Khasar. Je pourrais même
emmener Temüge là où il ne posera plus de problèmes.
Gengis considéra cette possibilité car il n’était pas aussi
sourd qu’il le prétendait aux plaintes des guerriers sur son jeune frère.
— Non. Il est utile. Il m’évite les milliers de
questions des imbéciles et c’est précieux.
Khasar eut un grognement dédaigneux pour exprimer clairement
ses sentiments.
— Temüge veut que nous envoyions des petits groupes
dans d’autres contrées pour y apprendre des choses nouvelles, continua le khan.
Il a peut-être raison de penser qu’ils en rapporteraient des choses utiles. En
tout cas, attendre leur retour nous aidera au moins à supporter l’ennui de
rester devant cette maudite ville. Je choisirai moi-même les hommes de ces
groupes et ils partiront en même temps que vous. Nous irons dans toutes les
directions.
Gengis sentit son énergie le quitter aussi vite qu’elle lui
était venue et il ferma les yeux pour lutter contre un étourdissement.
— Laissez-moi tous, maintenant, sauf Kachium. Formez
vos tumans, dites au revoir à vos femmes et à vos maîtresses. Elles seront en
sécurité avec moi, à moins d’être très attirantes.
Avec un pâle sourire, il les regarda se lever, content de
les voir manifestement plus confiants qu’à leur arrivée. Lorsqu’il se retrouva
seul avec Kachium dans la grande yourte, le khan parut soudain plus vieux.
— Il faut que je me repose, frère, mais je ne veux pas
retourner dans cette tente qui sent la maladie. Poste des gardes ici, que je
puisse y dormir et y manger. Je ne veux pas qu’on me voie.
— À tes ordres. Veux-tu que Börte vienne te déshabiller
et te donner à manger ? Elle a déjà vu le pire.
Gengis haussa les épaules.
— Il vaut mieux que tu m’envoies mes deux épouses. La
paix qu’elles sont parvenues à établir entre elles ne durera pas longtemps si j’en
favorise une.
Déjà son regard devenait trouble. Les efforts fournis pour
cette seule réunion l’avaient amené au bord de l’épuisement et ses mains
tremblaient sur son giron. Au moment où Kachium s’apprêtait à partir, il
demanda, d’une voix faible :
— Comment as-tu réussi à faire accepter à Khasar que tu
me
Weitere Kostenlose Bücher