Le seigneur des Steppes
inspecta la
passe. Ils avaient tué presque tous ceux qui s’étaient avancés à leur portée, il
était satisfait de ses archers. Il prit mentalement note de féliciter l’officier
responsable de la muraille. Le bruit des marteaux l’avait inquiété, mais la
porte avait tenu. Liu Ken eut un sourire crispé. Si elle n’avait pas résisté, les
Mongols se seraient jetés droit dans une cour cernée de murs en haut desquels
étaient postés d’autres archers. Le fort avait été intelligemment conçu et Liu
se réjouissait d’en avoir eu la preuve avant la fin de son affectation.
Le front plissé, il regarda les morceaux de bois jonchant le
sable. Tout ce qu’on lui avait raconté au sujet des Mongols laissait entendre
que s’ils se risquaient un jour à attaquer le fort ils le feraient avec la
sauvagerie de bêtes fauves. Ce long bouclier qu’ils avaient construit dénotait
cependant une ingéniosité tactique qui le tracassait. Il faudrait qu’il en
parle dans son rapport au gouverneur de la province. À lui de savoir quoi en
penser. Songeur, Liu baissa les yeux vers les corps disséminés. Jamais
auparavant ses hommes n’avaient utilisé les pierres. La plupart étaient
couvertes de mousse d’être longtemps restées en haut de la muraille. Il
faudrait à présent les remplacer, mais il y avait des fonctionnaires civils
pour s’occuper de ce genre de détail. Pour une fois, ils auraient autre chose à
faire qu’allouer des rations de vivres et d’eau à ses soldats.
Liu se retourna en entendant un claquement de sandales et s’empressa
de cacher sa surprise lorsqu’il vit le commandant du fort monter les marches
menant au parapet. Shen Ti était plus un administrateur qu’un militaire et Liu
se prépara à répondre à ses questions ineptes. Quand l’obèse parvint, pantelant,
en haut de l’escalier, Liu détourna les yeux pour ne pas être témoin de la
faiblesse physique de son supérieur. Il attendit en silence que Shen Ti le
rejoigne et, encore hors d’haleine, plonge le regard dans la passe.
— Nous avons fait déguerpir ces chiens, dit Shen Ti.
Liu inclina la tête en signe d’assentiment. Il n’avait pas
vu son commandant pendant l’attaque. Nul doute qu’il se terrait dans ses
appartements privés avec ses concubines, de l’autre côté du fort. Désabusé, Liu
songea aux paroles de Sun Tzu sur la guerre défensive. Shen Ti savait à coup
sûr se cacher « dans les tréfonds de la terre », mais uniquement
parce que d’autres comme Liu étaient là pour disperser les attaquants. Il
devait cependant montrer le respect dû au rang de l’homme.
— Je laisserai les corps en place jusqu’à la fin de la
journée, seigneur, pour être sûr qu’aucun Mongol ne feint la mort. Demain à l’aube,
j’enverrai des hommes ramasser les armes et récupérer les flèches.
Shen Ti baissa à nouveau les yeux et vit, près d’un cadavre,
un coffret et une superbe lance, aussi longue qu’un homme. Il savait que s’il
la laissait aux soldats elle disparaîtrait et finirait dans une collection
privée. Quelque chose de brillant sur le sable attira son attention.
— Envoie tout de suite des gardes vérifier que la porte
n’est pas endommagée, Liu. En même temps, qu’ils rapportent tout ce qui a de la
valeur, pour que je puisse l’examiner.
Liu dissimula le mépris que lui inspirait la cupidité de l’obèse.
Les Ouïgours ne possèdent rien qui ait de la valeur, pensa-t-il. Il n’y a
aucune raison d’espérer trouver plus que quelques morceaux de métal brillant. Cependant,
Liu n’était pas noble et il s’inclina aussi bas que son armure le lui
permettait.
— À tes ordres, seigneur.
Il s’éloigna de Shen Ti et claqua des doigts pour réclamer l’attention
d’un groupe d’archers qui se désaltéraient tour à tour à un seau d’eau.
— Je sors dépouiller les morts, dit-il, conscient de l’amertume
qui perçait dans sa voix alors qu’il s’apprêtait à obéir à cet ordre honteux. Retournez
à vos postes et soyez prêts à un autre assaut.
Les hommes s’exécutèrent, laissant le seau vide tomber et
rouler bruyamment. Liu soupira en se concentrant sur sa tâche. Les Ouïgours
paieraient leur attaque quand le roi l’apprendrait. Dans le paisible royaume du
Xixia, la cour en parlerait de longs mois. Le commerce avec les Ouïgours serait
suspendu pendant une génération et des raids de représailles frapperaient tous
les camps ouïgours. N’ayant
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