Le souffle du jasmin
prospérité de ce pays, elle va en
être expulsée. C'était un pays paisible, elle en a fait une bombe qui, tôt ou
tard, explosera à la face de l'Angleterre et de l'Occident tout entier.
Wyndham
demeura interdit devant ce résumé apocalyptique de la présence anglaise dans la
région. Il ne pouvait pas détacher son regard des yeux de Farouk, soudain
brillants de passion.
Le
monarque ajouta :
– Allez
voir par vous-même, monsieur Wyndham. Vous jugerez avec quelle constance
l'Angleterre scie la branche sur laquelle elle est assise.
L'Anglais
ne sut que répondre ; il se contenta de demander :
– De quelle branche
voulez-vous parler, sire ?
– De ses intérêts dans le monde arabe et
du canal de Suez.
John Wyndham vida son verre d'eau. Ce roi ne ressemblait en rien à l'homme qu'on lui avait décrit à l'ambassade
— Vous
avez créé une armée juive de trente mille hommes, monsieur Wyndham, en pensant qu'elle resterait juive. Erreur : c'est une armée sioniste. Elle s'appelle la Haganah et s’est
scindée en plusieurs groupes de terroristes.
– Elle
s’est battue avec nous contre les Allemands, sire, o bjecta
l'Anglais
– Oui,
répliqua Farouk dans un grand sourire, et c’est avec vos armes qu'elle vous
jettera à la mer.
31
Dès
qu'un intérêt fait promettre, un intérêt plus grand peut faire violer la
promesse ; il ne s'agit plus de la violer impunément : la ressource
est naturelle ; on se cache et l’on ment.
Rousseau.
Canal de Suez, 14 février 1945
Sur le pont du
croiseur, enfoncé dans son fauteuil roulant, un plaid jeté sur ses cuisses, le président Roosevelt faisait penser à un spectre plutôt qu'au
trente-deuxième président de la plus grande puissance planétaire.
Il tendit une main incertaine vers
l'homme drapé dans une robe de bédouin qui venait de le rejoindre à bord du S.S. Quincy qui mouillait dans les eaux du canal de Suez depuis
quarante-huit heures.
— So glad to meet you ! What can I do for you ? Je suis
ravi de vous rencontrer ! Que puis-je faire pour vous ?
Un sourire indicible illumina les
traits de l'hôte qui répliqua avec une pointe d'ironie :
– Mais
c'est vous qui avez demandé à me voir. Par conséquent, je suppose que c'est
vous qui avez à me demander quelque chose ?
Roosevelt
masqua son étonnement devant la réplique qu'il n’attendait pas.
C'est que
le personnage qu'il avait invité à lui rendre visite sur ce navire de guerre
n'était pas n'importe qui. Il s'appelle Abdel
Aziz Ibn Abdel Rahman Ibn Fayçal Ibn
Séoud. Il est l’arrière-arrière-arrière-petit-fils
de Mohammad ibn Séoud, qui, associé à Mohammad ibn Abdel Wahhâb, fondateur du wahhabisme,
créa le royaume d'Arabie Saoudite.
Tout le monde l'appelle Ibn Séoud.
Il a soixante-quatre
lumineux, il porte le bouc et la mous tache, le crâne
toujours protégé par un ghatra [105] .
C'est un homme pieux plutôt qu'un guerrier.
Aujourd'hui, le royaume qu'il gouverne est en passe de
devenir la clef de voûte énergétique du monde moderne. Sous les sables du
désert repose le plus fabuleux de tous les trésors : le pétrole. Et c 'est
cet homme que Lawrence a négligé, que les Anglais ont bafoué préférant
miser sur son rival, feu le chérif Hussein, chassé comme un moins que rien par
les troupes de Séoud et mort dans l 'anonymat
quatorze ans auparavant, à Amman.
Les deux hommes vont parler pendant près de deux heures.
Très vite, leurs discussions portent sur la Palestine, les questions
économiques ayant été réglées l 'année précédente avec la création de l 'Aramco ( Arab American Company ), chargé d'exploiter le pétrole saoudien au nez et à la
barbe des Britanniques.
Roosevelt prit une courte inspiration.
– Selon vous, Majesté, comment devrions-nous régler la
tragédie de ces malheureux réfugiés juifs expulsés de chez eux en Europe ?
Ibn Séoud n'hésita pas.
– Rien de plus simple, monsieur le Président. Les Juifs
devraient retourner vivre là d'où ils ont été expulsés. La logique la plus
élémentaire impose qu'on leur attribue une partie de l'Allemagne. Les Allemands
ne sont-ils pas à l'origine de toutes leurs souffrances ? Nous, les
Arabes, n'avons rien à voir avec cette tragédie, que je sache.
Roosevelt ne parut pas rejeter l'argument. Il fit même
remarquer que la Pologne pouvait être prise en exemple ; les nazis ayant
tué plus de trois millions de Juifs
Weitere Kostenlose Bücher