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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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enfermé face à l’image chamarrée que lui renvoyait le miroir rectangulaire, il avait baissé sa garde et la peur renaissait en lui, cette peur qui l’avait tourmenté tout au long de la nuit. Lancinante, la vision de ses dessins souillés de sang et de l’inscription tracée sur le trumeau enserrait sa gorge l’un étau si puissant qu’il frôlait l’asphyxie. Il inspira profondément, recracha l’air par la bouche, éprouva une soif intense. Cependant, ni cette respiration contrôlée ni la gorgée d’eau fraîche dont il se désaltéra ne purent dompter les soubresauts de son cœur.
    Et déjà Vassili toquait à la porte et lui criait que M. Franconi commençait à s’impatienter. Il tenta de se purger l’esprit, comme s’il lui fallait se jeter à l’eau sans plus réfléchir. Mais impossible de chasser la certitude qu’il allait succomber à une syncope.
    Victor n’eut aucune difficulté à s’introduire dans le cirque. Il se faufila jusqu’à un escalier menant aux gradins surmontés d’une frise équestre et s’assit le plus près possible de la piste. Il comptait ainsi rejoindre très rapidement Absalon Thomassin dès qu’il aurait terminé son numéro.
    La lumière des lustres au milieu des arcatures n’éclairait que la partie inférieure de la salle, ainsi que la portion centrale au-dessus de laquelle des accessoiristes tendaient un filet de sécurité. Les cintres demeuraient dans l’ombre d’où émergeaient les banquettes des premières galeries, vagues de velours rouge dont la crête était figurée par des dossiers de bois peints en blanc.
    Un homme en frac et melon prit place dans l’une des stalles. Victor l’observa avec curiosité, supposant qu’il s’agissait du directeur qu’avait rencontré Joseph. Puis son attention se porta vers le haut où, sans que nulle fanfare de cuivres ne l’en eût averti, tourbillonnait à l’extrémité d’une corde un être s’apparentant davantage à un ludion qu’à un humain. Son visage enfariné rejeté en arrière, ses dents serrées sur un embout, il tournoyait de plus en plus vite et son maillot piqueté de strass brillait d’éclats multicolores et se muait en un trait de feu. Il ralentit progressivement, s’immobilisa et, saisissant la corde, en éloigna son corps raidi à la verticale tandis que saillaient les muscles de son bras. Presque au même moment, un jeune assistant mit en branle un système de deux trapèzes allant et venant à une dizaine de mètres sous le Grand Absalon. Lorsque le premier de ces trapèzes atteignit la perpendiculaire, l’acrobate se lâcha dans le vide et se rattrapa à la barre pour s’envoler. Un prompt changement de prise lui permit d’effectuer un demi-tour et de faire face, suspendu par les mains, au second trapèze qui filait vers lui. Il se balança, se propulsa, resta figé une fraction de seconde. Un trait fugitif zébra l’espace. Frappé violemment à la nuque par une boule noire, Absalon Thomassin chuta lourdement dans le filet. Stupeur, cris, mouvements désordonnés. Victor se dressa brusquement et scruta les gradins. Derrière les frêles piliers métalliques, il discerna une silhouette qui gagnait l’une des issues. Il se rua à ses trousses, bouscula plusieurs artistes et machinistes, avant de débouler boulevard des Filles-du-Calvaire où il avait confié sa bicyclette à la garde d’un kiosque de contrôle pour les fiacres. Il eut le temps d’apercevoir un boiteux se hissant sur le siège d’une carriole au flanc de laquelle de détachait en lettres vertes Déménagement Lambert, et lançant son cheval au galop.
    « Le bancal ! Alors c’était lui », se dit Victor, qui à son tour tressautait sur les pavés.
    Par bonheur, le temps était sec, la circulation fluide, aussi ne perdit-il pas de vue la voiture. Elle embouqua la première rue à gauche et se jeta à vive allure dans le flot du boulevard Richard-Lenoir.
    Le bancal se savait-il pisté ? Rien ne le laissait supposer. Il était naturel qu’un assassin s’efforçât de fuir le lieu de son forfait. Les ponts et les écluses du quai le Jemmapes se succédaient sans que Victor eût le loisir de les examiner, bien que son œil de photographe notât inconsciemment des particularités dignes d’être fixées sur pellicule : une lessive claquant au vent sur une péniche, un joueur d’orgue de Barbarie injuriant un chien qui avait pissé contre son instrument, un militaire en pantalon rouge serrant de

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