Le talisman de la Villette
affluèrent : Catherine, Georgina, Aliette. Une dompteuse écossaise… ah oui, Helen Mac Gregor, Sophie, Philomène, Cécile. Aucune Louise, aussi loin qu’il remontât dans son passé.
Joseph attrapa le premier contrevent et souhaita une bonne soirée à Victor. En vigie sous la porte cochère, Mme Ballu salua celui-ci d’un air absent alors qu’il descendait la rue en direction du quai Malaquais, puis son regard revint se poser sur le fiacre stationné de autre côté de la chaussée.
« D’abord une carriole de déménagement, à présent un sapin rivé aux pavés ! Mais qu’est-ce qu’on me veut ? »
La remarque blessante assenée par Euphrosine résonnait encore douloureusement à ses oreilles : « Ma pauvre Micheline, vous avez dépassé l’âge critique ! Pourquoi un homme vous suivrait-il ? »
— Qu’est-ce que ça a d’extraordinaire qu’un homme me suive ! J’t’en ficherai, d’l’âge critique ! Y a pas d’âge pour séduire, sale garce ! Ah, elle s’mouche pas du pied, l’ancienne marchande de quatre-saisons, depuis que son rejeton a marié la fille du patron, elle fait sa bourgeoise, n’empêche qu’on m’épie, c’est un fait. Et si ça m’plaît, à moi, d’être surveillée, grogna-t-elle en se barricadant dans sa loge.
Elle avait grand besoin d’une goulée du porto millésimé de feu son époux Onésime. Elle ne vit pas le fiacre s’ébranler au petit trot.
Perdu dans ses pensées, Victor venait de doubler le café Le Temps perdu lorsqu’une ombre blanche fila sous son nez et s’échoua à ses pieds. Une rose. Il se retourna vivement. Un fiacre stationnait à quelques mètres. La portière s’ouvrit, on l’interpella.
— Monsieur Legris, montez, j’ai à vous parler. Il demeura indécis.
— Je suis seule. Décidez-vous, je ne vais pas vous ensorceler !
Victor sauta sur le marchepied.
— Bonsoir, madame Clairsange, ou faut-il dire Mathewson ? Est-ce un enlèvement ? Nous ne sommes pourtant pas au Far West !
— Je n’ai ni l’envie ni le cœur à la plaisanterie, monsieur. Prenez place. J’ignore ce qui motive votre acharnement à me harceler, mais je vous supplie de cesser d’importuner ma mère. Cet après-midi, votre acolyte…
— Une seule question, pourquoi mentez-vous ? Je sais que c’est vous qui avez débauché Loulou de son travail de la rue d’Aboukir Dans quel but ?
Elle offrait un piquant mélange d’innocence et de hardiesse. Elle garda le silence, mettant en œuvre les roueries du sourire, des yeux, des mains occupées à lisser ses gants. C’était un spectacle charmant même pour un homme averti.
— Oh, monsieur Legris ! s’écria-t-elle. Vous êtes la seule personne à qui j’ose m’adresser. Si je vous livre mon secret, nous tiendrez-vous à l’écart de ce scandale ?
— Il se peut. Je suis curieux de connaître votre version de…
Il s’arrêta court, confondu de la voie où il s’engageait. Elle soupira profondément et toqua au carreau pour aviser le cocher.
— Fermez la portière, monsieur Legris, nous allons rouler un peu, murmura-t-elle.
Victor se tourna vers la vitre. Il savait que l’attitude de Sophie Clairsange était calculée, que, sous ses paupières baissées, elle l’étudiait attentivement et froidement.
— Ma pauvre Loulou ! Tout est ma faute. C’est tellement invraisemblable que ce que je vais vous révéler ne peut être que la vérité. Après le décès de mon époux Samuel Mathewson, j’ai imaginé une revanche magistrale à l’encontre de deux hommes qui m’avaient volé ma jeunesse, j’ai tout consigné dans mon journal intime. Je voulais rendre la monnaie de leur pièce à Richard Gaétan et à Absalon Thomassin. Le premier m’a violée, le second m’a chassée alors que j’étais enceinte.
— Et le troisième ? Le baron de La Gournay ?
— Il avait engrossé Loulou, ma meilleure amie. Je voulais détruire leur réputation, pas une seconde je n’ai envisagé leur mort.
— Absalon Thomassin est toujours de ce monde, que je sache !
— J’espère qu’il le restera longtemps.
Victor tressaillit. C’était étrange d’entendre cette femme bafouée émettre un tel vœu. Elle l’observait avec une attention inquiète.
— Laissez-moi vous narrer l’histoire en son entier, reprit-elle, car je crains que vous doutiez de ma sincérité. Mon plan était simple. J’ai prié Loulou de s’installer chez moi, rue Albouy. Je
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