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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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redescendit au rez-de-chaussée où les plaqueurs appareillaient les carcasses de revêtements d’érable, d’acajou, de thuya ou de palissandre. Jaquemin, lui, brillait par son absence.
    Suant, soufflant, Victor erra le long de l’atelier de tablage puis de ceux des poseurs de sommier et des monteurs de cordes. Jamais il n’eût imaginé que tant d’opérations étaient nécessaires à l’obtention d’un de ces pachydermes dont un virtuose arracherait des sons magiques. Pour l’amour du beau, il observa sept ou huit vernisseurs toiletter une quinzaine d’instruments. Il admira une pièce rare, un demi-queue sculpté par Charpentier et peint par Besnard. Un ouvrier lui expliqua complaisamment que sa réalisation avait exigé deux années et qu’un riche étranger s’en était porté acquéreur pour la modique somme de trente mille francs. Victor émit un sifflement et affirma qu’il était sur la trace de son ami Jaquemin.
    — Il est au dépôt, à l’extrémité opposée. Laissez-vous guider par le son.
    Lorsqu’il poussa la porte, une cacophonie de gammes l’assaillit. Il se revit, enfant, juché sur le tabouret à vis surplombant le clavier détesté où M. son père, qui n’allait jamais au concert, s’était vainement efforcé de lui inculquer les rudiments du solfège. Chaque fois qu’il enfonçait une touche, il se figurait décapiter un ennemi invisible. Aussi observa-t-il avec commisération les jeunes filles qui testaient la justesse des pianos récemment accordés. Qu’il y avait loin de ce tintamarre à l’Arabesque de Schumann !
    L’oreille tendue, un homme en blouse, d’une taille au-dessous de la moyenne, à toupet et barbiche hérissés, contrôlait les solistes.
    — M. Jaquemin ? beugla Victor.
    L’homme désigna de l’index sa propre personne puis un bureau à l’écart.
    — Je finis par être sourd comme un pot avec ce barouf. Qu’y a-t-il pour votre service ?
    — Une relation m’a chargé de contacter Martin Lorson .
    Jaquemin se rembrunit.
    — Vous le dénicherez à l’entrée, il s’est aménagé un clapier à l’intérieur d’un des hangars où nous stockons le bois. Gardez la confidence, si on devinait que je l’héberge, on me flanquerait un savon. J’ai cédé à l’attendrissement, un accès de charité, on a usé nos fonds de pantalons sur les mêmes bancs, au collège. Le malheureux, il est dans une drôle de panade.
    De nouveau à la case départ, Victor se faufila d’un entrepôt au suivant où il perçut une voix avinée qui chantait faux.
    Amis, c’est en préférant la bouteille à la carafe…
    Une ombre plus large que haute se trémoussait sur une cloison dépourvue de fenêtres, à la lueur d’une lampe à pétrole. Victor contourna un rempart de sacs et de planchettes. Attentif à la cuisson d’une saucisse grésillant au-dessus d’un brasero, Martin Lorson pressait contre son cœur un litre de rhum qu’il hissa bientôt à sa bouche. Cette lampée préluda à la conclusion du refrain :
    Qu’on voit le plus ignorant devenir géographe $1 $2
    L’apparition de Victor mit le holà à cette ode éthylique.
    — Qui c’est ? Jaquemin ? aboya Martin Lorson.
    — Legris, le libraire. Nous avons bavardé aux abattoirs.
    — Le libraire détective ?… Z’êtes toc toc de vous radiner en plein jour ! Quand allez-vous enfin me foutre la paix ?
    — Je vous ai acheté des cigarettes.
    Radouci, Martin Lorson ôta du feu la poêle qu’il plaça en travers d’un bardeau, avant d’empocher le paquet.
    — Je ne vous dérangerai pas longtemps. Un détail me titille au sujet de votre témoignage. Vous m’avez parlé de la fuite de l’assassin, puis de son retour immédiat – incompréhensible, avez-vous précisé.
    Martin Lorson éructa bruyamment.
    — Êtes-vous assez sobre pour me répondre ?
    — Ça va, si j’étais paf, je serais incapable d’aligner deux mots.
    — Réfléchissez : n’aurait-il pu s’agir d’un second homme ?
    Martin Lorson se frotta les paumes à la chaleur des braises.
    — C’est biscornu que vous souleviez ce lièvre justement aujourd’hui. J’ai accommodé la scène à toutes les sauces, j’en ai la caboche fissurée. Maintenant je suis convaincu : il y avait bien deux énergumènes !
    — L’alcool ne fausse-t-il pas votre certitude ?
    — Non, non. Leurs chapeaux ! Ils étaient différents. Celui qui a étranglé la fille portait un feutre. L’autre, une

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