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Le Temple Noir

Le Temple Noir

Titel: Le Temple Noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Giacometti
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aveugle qu’expéditive, surtout quand leurs cavaliers patrouillaient la nuit dans les quartiers excentrés de Jérusalem. D’ailleurs, quand l’accrochage avait commencé, chacun s’était bien gardé de s’en mêler. Certes on avait entendu des cris, des bruits d’armes, mais quand le silence était retombé, personne n’avait osé réagir. C’était un paysan, en route pour le marché, qui avait donné l’alerte.
    Le faubourg de l’Arbre sec abritait la population la plus hétéroclite de la ville. Situé en dehors des murailles, c’est là que venaient échouer pèlerins exaltés, errants lunatiques, soldats de fortune, sans compter des adeptes de religions aussi étranges que sectaires. On y trouvait aussi le plus grand nombre de tavernes de la ville. Du coupe-gorge où des mendiants en guenilles venaient s’abrutir avec de l’alcool d’écorce jusqu’à des établissements sans fenêtres, ni enseignes, où de discrets musulmans venaient goûter au fruit défendu de la vigne.
    Ouvert sur la campagne environnante, le quartier servait aussi de lieu de transit pour toutes les contrebandes ; on pouvait y acheter aussi bien des esclaves venus du bout du monde que d’étranges substances de par-delà les mers et qui endormaient toute souffrance. Quant au nom du faubourg, il illustrait bien l’ambiance trouble des lieux. On racontait qu’un musulman, un juif et un chrétien, en pleine dispute religieuse, avaient choisi, pour se départager, un arbre qui poussait sous les murailles. Chacun, à son tour, avait ordonné, au nom de son Dieu, à l’arbre de fleurir comme au printemps. Celui qui y parviendrait serait le vainqueur. Le résultat ne se fit pas attendre : à la troisième sommation, l’arbre perdit toutes ses feuilles et devint aussitôt sec.
    Le Grand Maître regardait le tronc noirci tandis que les gardes relevaient les corps. Deux. Des frères du Temple émasculés comme du gibier de chasse. On les avait dépouillés de tout, même de leurs chausses. Ils gisaient nus, du sang déjà noirci entre leurs cuisses.
    — Des cavaliers, affirma un des sergents en montrant des traces au sol.
    Armand de Périgord se pencha. Le pavé avait laissé place à une piste de terre battue. À la lueur des torches, on voyait distinctement les formes à demi ovales des fers à cheval.
    — Des percherons, précisa le sergent, les traces sont profondes. Sans doute des chevaux de trait volés dans une ferme. Nous avons affaire à des pillards.
    Tout en se relevant, le Grand Maître fit un rapide calcul. Avec de pareilles montures, les agresseurs n’avanceraient pas vite, surtout sur un sol caillouteux. Une demi-lieue d’avance, pas plus. Il saisit les rênes de son cheval et se tourna vers l’escorte :
    — Mes frères, que prompte et définitive justice soit faite.

    Maison de l’Ordre
    Un courant d’air glacé fit voler la tenture qui masquait la fenêtre de la bibliothèque. L’Archiviste se leva, tira la toile écrue et jeta un œil sur la ville avant de fermer la fenêtre. L’aube blanchissait Jérusalem d’un manteau de givre. Un phénomène surprenant pour la saison. De ses doigts boudinés, l’Archiviste fit un signe de croix. Depuis des semaines, l’hiver s’installait en avance en Terre sainte. Comme une âme damnée il était revenu après un automne d’une chaleur exceptionnelle et d’ailleurs, certains arbres fruitiers s’étaient mis à bourgeonner. En une nuit, la promesse des fleurs s’était envolée, brûlée par un vent sec et gelé qui ravageait la contrée. Événement encore plus rare, on racontait que des loups, venus des plateaux de Syrie, descendaient dans les vallées pour s’attaquer aux troupeaux.
    L’Archiviste retourna à sa table et moucha la chandelle. Il avait travaillé toute la nuit et son dos le faisait souffrir. Parfois, il perdait espoir comme on perd pied en avançant dans l’obscurité. Il s’asseyait sur le banc de chêne de la vaste cheminée et regardait les flammes dévorer le bois. Il admirait surtout le travail invisible des braises qui, sans bruit, consumaient une bûche entière. C’est d’ailleurs ainsi qu’il se voyait, lent et obstiné, discret et efficace.
    L’Archiviste tourna le regard vers la longue table de réfectoire où s’étalait une suite de parchemins. Pour mieux regarder son œuvre, il monta sur le banc. Vues d’en haut, les cartes ressemblaient à un corps écorché. Tout un réseau de voies, de sentes, de venelles

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