Le tombeau d'Alexandre

contre les Alexandrins qu’il avait juré de se venger d’eux jusqu’à ce que son cheval baigne dans le sang jusqu’aux genoux. Et devinez ce qui s’est passé.
    — Je ne vois pas.
    — Son cheval a trébuché et s’est écorché les genoux, qui se sont trouvés couverts de sang. Considérant qu’il s’agissait d’un signe, Dioclétien a épargné tout le monde. Il a préféré faire ériger une statue de lui-même, sur cette colonne. Et vous savez ce que les Alexandrins ont fait ?
    — Non.
    — Ils ont sculpté une statue. Mais pas de lui. De son cheval.
    Mohammed s’esclaffa en se tapant sur les cuisses.
    — De son cheval ! Elle est bonne, celle-là !
    Ils arrivaient au centre d’Alexandrie.
    — Vous me guidez ? demanda Ibrahim.
    — À gauche, et encore à gauche.
    Ils s’arrêtèrent pour laisser passer un tramway.
    — Alors elle était où, la tombe d’Alexandre ? demanda Mohammed.
    — Nous n’avons pas pu le déterminer avec certitude. De nombreux fléaux se sont abattus sur Alexandrie. Des incendies, des insurrections, des guerres, des tremblements de terre. Et un terrible tsunami. Dans un premier temps, toute l’eau a reculé et les Alexandrins ont cru que c’était leur jour de chance. Ils sont tous allés ramasser les poissons et les objets de valeur qui se trouvaient dans le port asséché. Puis la vague s’est abattue. Elle a tué des milliers et des milliers de personnes, et dévasté tout le front de mer. On raconte qu’elle a projeté les bateaux comme de simples maquettes contre tous les grands édifices de la cité.
    Mohammed resta interdit.
    — Je ne l’avais jamais entendu dire.
    — Eh bien, à la suite de cette catastrophe, la cité est tombée en ruine. L’emplacement de tous les monuments anciens a été perdu, y compris celui du mausolée d’Alexandre, que nous n’avons jamais retrouvé. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé.
    En effet, de nombreux archéologues s’étaient attelés à cette tâche, dont Heinrich Schliemann, fort de ses succès à Troie et à Mycènes. Mais ils avaient tous échoué.
    — Vous devez bien avoir une idée, insista Mohammed.
    — Nous avons quelques pistes, reconnut Ibrahim. Toutes les sources anciennes indiquent que le mausolée se trouvait sur le côté nord-est du carrefour central de la cité. Malheureusement, nous ne sommes pas sûrs de l’emplacement de ce carrefour. Avec tous ces bâtiments, nous ne pouvons pas faire de recherches. Il y a deux cents ans, c’était facile. Il y a mille ans, encore plus. Mais aujourd’hui...
    Mohammed se tourna vers Ibrahim.
    — On raconte qu’Alexandre est enterré sous la mosquée Nabi Daniel. Dans un cercueil en or.
    Ibrahim soupira.
    — C’est pourtant faux.
    — Alors d’où vient cette rumeur ?
    Ibrahim garda le silence un instant pour rassembler ses idées.
    — Alexandre le Grand apparaît dans le Coran sous les traits du prophète Zulkarnein, l’homme aux deux cornes. Léon l’Africain, un écrivain arabe du début du XVI e siècle, évoque les nombreux musulmans pieux qui se sont rendus sur sa tombe et affirme que celle-ci se trouvait près de l’église Saint-Marc.
    — À Nabi Daniel.
    — Exactement. La mosquée du prophète Daniel est à proximité de l’église. Et dans les légendes arabes, il existe un prophète Daniel qui a conquis toute l’Asie et fondé Alexandrie avant d’être enterré ici dans un cercueil en or. Il ne peut s’agir que d’Alexandre. Cela explique pourquoi certaines personnes croient que la mosquée du prophète Daniel est un sanctuaire bâti sur la tombe d’Alexandre. En outre, Ambroise Schilizzi, un témoin russe, a raconté qu’il avait vu dans les caveaux de la mosquée, à travers une fissure dans une porte en bois, un corps assis sur un trône, coiffé d’un diadème et entouré de papyrus et autres objets de valeur. C’était une possibilité très séduisante, seulement il y avait un problème.
    — Lequel ?
    — C’était absolument faux.
    Mohammed rit à nouveau.
    — Vous en êtes sûr ? demanda-t-il.
    — Je suis allé moi-même dans les caveaux. Croyez-moi, ils ont été bâtis cinq ou six cents ans après la mort d’Alexandre et ne sont pas ptolémaïques mais romains. Mais une fois qu’une idée comme celle-ci est lancée, plus personne ne s’intéresse à la réalité. Vous savez comment sont les gens, d’autant que la meilleure carte de la cité dont nous disposions place