Le tombeau d'Alexandre
la théorie héliocentrique, plus d’un millénaire avant que celle-ci ne soit redécouverte par Copernic. Ératosthène avait déterminé avec une quasi-exactitude la circonférence de la Terre en comparant la longueur des ombres projetées par le Soleil au zénith, au solstice d’été, selon qu’on se trouvait à Alexandrie ou à Assouan, à huit cent cinquante kilomètres au sud. Quelle imagination ! Quelle curiosité intellectuelle et quel acharnement ! Une confrontation des cultures sans précédent, une effervescence de la pensée digne de l’Athènes antique et inégalée jusqu’à la Renaissance. Comment pouvait-on placer de tels accomplissements au second rang ? Ou penser que...
Knox fut brusquement tiré de ses pensées par un bruit provenant de l’intérieur. Il avait eu l’impression d’entendre quelqu’un se racler la gorge. Son refuge avait-il déjà été découvert ? Il recula au bout du balcon, de sorte qu’on ne puisse pas le voir à travers la porte-fenêtre, et se tapit contre le mur.
III
Ibrahim marchait à côté de Mohammed, qui avait pris en main la visite de la nécropole. Malgré ses efforts pour ne pas s’emballer, il avait éprouvé une certaine déception en constatant que la tombe était celle d’un soldat et non d’un roi. Mais il garda une attitude professionnelle et se concentra pour essayer de comprendre à quoi il avait affaire.
La première salle lui avait déjà donné beaucoup d’indices. Chaque mur était percé de colonnes de loculi semblables aux tiroirs d’une vaste morgue. Et chaque compartiment était rempli de restes humains à moitié enterrés sous une fine couche de sable jaune, bien que l’essentiel des dépouilles ait été jeté par terre, probablement par des pilleurs de tombes à la recherche de trésors. Parmi les ossements et les décombres, ils trouvèrent une figurine en faïence, quelques pièces verdâtres noircies, frappées entre le I er et le IV e siècle après Jésus-Christ, et de nombreux éclats de terre cuite provenant de lampes funéraires, de pots et de statuettes. Il y avait également des débris de pierre et de plâtre. Conformément à la tradition, les loculi avaient été refermés après l’enterrement, mais les pilleurs les avaient forcés.
— Pensez-vous que nous allons trouver des momies ? demanda Mohammed. Un jour, j’ai emmené ma fille dans votre musée et elle a été fascinée par les momies.
— C’est peu probable, répondit Ibrahim. Le climat n’y est guère propice. Et même si elles avaient survécu à l’humidité, elles n’auraient pas échappé aux pilleurs de tombe.
— Les pilleurs s’intéressaient aux momies ? Elles avaient de la valeur ?
— On cachait parfois des bijoux ou d’autres objets personnels dans les cavités du corps. Mais il y a quelques centaines d’années, les momies ont elles-mêmes acquis une grande valeur. Elles étaient très prisées en Europe, vous savez.
— Pour les musées ?
— Pas seulement. Pas au début, en tout cas. Il y a environ six cents ans, les Européens pensaient que le bitume était très bon pour la santé. C’était le remède miracle de l’époque. Tous les apothicaires et tous les médecins en avaient à disposition. La demande était telle que les stocks se sont épuisés. Il a donc fallu en trouver ailleurs. Vous savez que les restes des momies sont très noirs. Les Européens ont donc pensé qu’ils avaient été trempés dans du bitume. C’est de là que vient le terme « momie ». En persan, mumia signifie bitume et la plupart des produits provenaient de Perse.
— On utilisait les momies comme médicaments ? demanda Mohammed, écœuré.
— En Europe, oui, répondit Ibrahim en adressant à l’entrepreneur un sourire complice. Et Alexandrie était au cœur de ce commerce. C’est une des raisons pour lesquelles nous n’y avons jamais trouvé de fragments de momie.
Ils pénétrèrent dans une autre salle. Mansoor éclaira le mur de plâtre et découvrit une peinture presque effacée. Celle-ci représentait une femme assise et un homme debout se donnant une poignée de main.
— Une scène de dexiosis, murmura-t-il.
— La femme est morte, expliqua Ibrahim à Mohammed. Ils se disent adieu.
— Peut-être est-il ici avec elle, risqua Mohammed. Ces tombes semblent bondées.
— Oui, il y avait beaucoup de monde à Alexandrie et pas assez d’espace. On estime à un million le nombre d’habitants de la
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