Le Tombeau De Jésus
représentaient une source d’embarras pour l’Église primitive.
Et c’est ainsi qu’ils disparurent du paysage, comme s’ils n’avaient jamais existé. Les spécialistes des mouvements chrétiens antérieurs à l’empereur Constantin se penchent eux-mêmes rarement sur leur cas. La plupart des gens sont persuadés que le christianisme est né à Rome, au IV e siècle. En conséquence, rares sont ceux qui s’attendent à trouver des preuves archéologiques antérieures. Puisqu’ils n’ont pas existé, comment les judéo-chrétiens en auraient-ils laissé derrière eux 1 ?
D’une manière générale, les juifs se sont montrés tout aussi discrets sur la question. Après tout, pendant presque deux millénaires, la relation entre christianisme et judaïsme, entre chrétiens et juifs, fut une relation entre souverains et sujets. Les juifs ne pouvaient pas s’adresser aux autorités pontificales et leur dire : « Votre Dieu était l’un d’entre nous. Pour nous, il n’est pas le Messie, mais un grand patriote. Si vous ne nous croyez pas, reportez-vous donc à l’histoire des ébionites. » Alors que le christianisme gentil s’était construit sur les fondements d’une secte juive, les autorités rabbiniques établirent ainsi une frontière infranchissable entre chrétiens et juifs. De leur point de vue, le christianisme était devenu une religion païenne et les disciples juifs de Jésus devaient choisir entre Jésus et le peuple juif : on ne pouvait être juif et chrétien à la fois.
Le moment crucial dans le processus d’éviction des judéo-chrétiens de la synagogue se produisit au II e siècle, avec l’introduction dans la liturgie juive d’une bénédiction – en réalité une malédiction –, la « Birkat haminim » 2 . Le terme minim signifie « genres », « variétés » ou « branches » en hébreu. Sur un plan religieux, il désigne les sectes et par extension les hérétiques. Au II e siècle, cette prière contre les hérétiques apparut donc dans la liturgie synagogale. Détail intéressant, les Romains, ennemis d’Israël, n’y étaient pas mentionnés. Il s’agissait bien d’une affaire interne. La malédiction, disait-on, ne pouvait être efficace que lorsque les hérétiques conduisaient le service et la récitaient eux-mêmes. Les disciples juifs de Jésus ne pouvant répondre amen à une telle « bénédiction », ils étaient contraints de se dénoncer eux-mêmes en repliant leur châle de prière et en quittant la synagogue.
Marginalisés des deux côtés, les ébionites et les nazaréens sortirent pour toujours du cours de l’histoire. Victimes des dogmes théologiques, ils représentaient une source d’embarras pour les juifs comme pour les chrétiens. Les premiers voulaient oublier que les premiers partisans de Jésus étaient juifs, et les seconds préféraient se débarrasser de témoins gênants.
L’éviction des judéo-chrétiens a également eu un impact sur le plan archéologique : l’occultation de leur culture matérielle, c’est-à-dire des preuves tangibles de leur existence. Si l’on ne trouve aucun objet chrétien antérieur au IV e siècle, c’est que l’on considère que les judéo-chrétiens ne se distinguent en rien des autres juifs. Pour la majorité des spécialistes, l’archéologie du christianisme primitif commence avec Constantin ou juste avant lui au début du IV e siècle.
Le professeur Sukenik était en complet désaccord avec cette position. Il estimait avoir trouvé des preuves de l’existence de tombeaux judéo-chrétiens à Jérusalem et dans les environs, en particulier à Talpiot 3 . Il pensait également que l’archéologie pouvait combler le fossé créé par la théologie. Aux yeux de la communauté archéologique israélienne, la passion de Sukenik pour le judéo-christianisme était une excentricité, l’obsession bizarre d’un esprit par ailleurs brillant. Ils rejetèrent – et continuent de rejeter – cette partie du legs de Sukenik. Pourtant, s’il avait raison et que l’on puisse localiser des tombeaux judéo-chrétiens du I er siècle, pourquoi pas le tombeau de famille de Jésus ?
Dans le monde chrétien, Sukenik avait son équivalent : le père Bellarmino Bagatti (1905-1990), un franciscain. Pendant trente années, le père Bagatti dirigea l’église de la Flagellation dans la Vieille Ville de Jérusalem, la deuxième étape du chemin de croix de Jésus sur la Via
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