Le tresor de l'indomptable
serait terminé avant la veille de Noël ». Un groupe de nonnes – habits noirs, pelisses de laine, coiffes de toile blanche et souliers ronds – passa en claquant des semelles. À côté, sur le pilori, un mendiant était mort de froid et les officiers se querellaient pour savoir qui devait enlever le corps et l’enterrer. Des enfants en loques, pieds nus, sautaient par-dessus des flaques de boue gelées. Sur la glace, des bourgeois tiraient des traîneaux où s’empilaient des bûches de Noël et de la verdure destinées à décorer leurs demeures pour la grande fête. Les tenanciers des étals vantaient leurs prix en criant pour dominer le vacarme des charrettes. Colporteurs et pèlerins, marchands et claquedents, riches et pauvres, clercs et laïques, se coudoyaient comme un banc de poissons dans les rues étroites, rendues plus populeuses encore par l’ouverture des éventaires et des échoppes. Une cloche, quelque part, sonna l’angélus, rappelant aux fidèles de réciter un Pater, un Ave et un Gloria. Pourtant les ouailles, dans l’ensemble, paraissaient surtout enclines à suivre les délicieuses odeurs qui s’échappaient des débits de bière, des tavernes et des rôtisseries où les cuisiniers sortaient du four des fournées de tourtes à la croûte dorée fourrées de viande chaude émincée, épicée à profusion pour masquer son manque de fraîcheur.
Corbett et Ranulf mirent pied à terre à l’angle d’une ruelle devant le vivier de la cathédrale de la Sainte-Trinité. Un frère lai les introduisit dans le cimetière des moines ; cependant, l’endroit n’était pas un havre de paix puisqu’il servait aussi de sanctuaire aux malfaiteurs, truands et autres proscrits qui cherchaient à échapper à la justice. Hommes sans foi ni loi coiffés de capuchons en lambeaux et de couvre-chefs en peaux de bêtes, ils étaient vêtus de haillons voyants, mais bien armés, et, installés autour de feux de camp ronflants, ils buvaient et se querellaient avec les gotons et les catins en quête de clients. Ils lancèrent des regards avides au magistrat et à ses deux compagnons, mais le cliquetis des armes et l’air menaçant de Ranulf les dissuadèrent de se livrer à quelque méfait.
— Où allons-nous ? interrogea Chanson à voix basse.
— Au tombeau de Becket, répondit Ranulf. Je te l’ai déjà expliqué. Tu as vu la ménagerie de Monseigneur le roi à la Tour, avec des dromadaires, des chameaux, des lions, d’énormes chats, des singes. Il aime ses animaux, et par-dessus tout ses faucons. Un jour, il a presque battu à mort un fauconnier qui avait commis une erreur et en avait blessé un. Quoi qu’il en soit, deux des précieux oiseaux des volières royales près de la croix d’Eleanor sont malades. Le roi a fait bénir deux pièces d’or sur leur tête et a prié Corbett de les apporter ici en guise d’offrande.
Il donna en plaisantant un petit coup de coude à Chanson.
— Ça vaut mieux qu’une figurine de cire. J’ai ouï parler d’un pauvre nonce qui en apportait une à Walsingham. Le temps qu’il arrive, elle avait fondu.
— Et ?
— Cela n’a pas changé grand-chose, chuchota Ranulf, l’oiseau était déjà mort.
Ils entravèrent leurs montures dans le cimetière des moines. Chanson se chargea de les garder pendant que Corbett et Ranulf, dans la neige profonde, contournaient la sombre cathédrale, splendide masse de contreforts de pierre, de hauts murs, de corniches compliquées, de masques grimaçants et de têtes aux yeux de pierre. Ils s’introduisirent dans l’édifice par une porte latérale et pénétrèrent dans un monde mystique d’arches, de hautes voûtes qui demeuraient dans l’ombre et de rayons de lumière grise ou colorée qui traversaient les fenêtres dont certaines possédaient des vitraux ou étaient peintes, d’autres opaques. Ils passèrent devant une suite de magnifiques fresques et de solides colonnes rondes aux corniches dorées en haut et en bas, et foulèrent des dalles ornées de phénix, de colombes et de lis en fleur. La fumée chaude et parfumée des cierges flottait en volutes dans l’air glacé, sans parvenir à chasser le froid et les miasmes de la foule des pèlerins.
Le bâtiment était à peu près vide : seuls les plus dévots s’y rendaient en plein hiver. Corbett et Ranulf remontèrent la nef l’un derrière l’autre, tournèrent à droite en arrivant au choeur et gravirent une longue volée de marches de
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