Le tresor de l'indomptable
prononcé ses voeux solennels de moine bénédictin et avait intégré la communauté dirigée par l’abbé Wenlock. Puis lui aussi avait changé, tout de go et sans crier gare. Selon le prieur de Westminster, un inconnu avait rendu visite à Hubert et lui avait fait part de certaines informations qui avaient modifié du tout au tout la vie du jeune homme. Il avait fui le monastère, rompu ses voeux et était devenu venator hominum, traquant hors-la-loi et coquins afin de les remettre, contre récompense, aux shérifs, aux officiers des ports ou aux baillis des villes. Il s’était tenu à distance de Cantorbéry. Pourquoi ? Parce qu’il haïssait la cité ? Pour une autre raison ? Dans l’exercice de son sanglant métier, il avait parcouru les comtés du sud-est du royaume, toujours masqué et encapuchonné, précaution indispensable que devait prendre un homme s’il ne désirait pas être reconnu des bandits et des crapules qu’il pourchassait dans les chemins détournés et les sentiers de campagne.
Les deux frères semblaient avoir vécu chacun de leur côté jusqu’à ce que leurs routes se croisent, peut-être quatre ans auparavant. C’était à nouveau la ville de Cantorbéry qui en était la cause et le catalyseur. Blackstock avait intercepté un navire hanséatique à bord duquel se trouvait le précieux manuscrit de Paulents, document qui décrivait en détail un ancien et très considérable trésor enterré quelque part dans le Suffolk. Corbett avait ouï des rumeurs qui couraient sur des richesses ensevelies à travers le royaume. Il était même arrivé qu’Édouard en personne le charge de rechercher le trésor perdu du roi Jean qu’on prétendait immergé dans la baie du Wash vers la fin du règne de ce souverain. Les légendes sur le trésor du Suffolk étaient nombreuses dans ce comté, mais Paulents était parvenu à le localiser avec exactitude et espérait le découvrir avec Castledene, grand négociant comme lui et son allié en affaires. Quoi qu’il en soit, Blackstock s’était emparé du bateau, avait dérobé le manuscrit et décidé de rencontrer son frère afin de recueillir lui-même ce vieux trésor fabuleux. À leur tour, Castledene et Paulents, avec l’appui de la Couronne, étaient convenus de prendre Blackstock au piège.
Corbett, à présent, n’ignorait plus rien sur l’embuscade de L’Indomptable et le trépas de Blackstock, mais qu’en était-il d’Hubert ? Il avait, sans nul doute, juré de se venger et avait disparu du monde des hommes, mais où se trouvait-il maintenant ? La Carte du Cloître avait, elle aussi, disparu. Stonecrop l’avait-il volée dans la cabine de Blackstock ? Corbett pouvait imaginer un bâtiment se préparant à la bataille. Stonecrop, profitant de la confusion, s’était-il s’emparé de la carte, espérant en user pour négocier avec Sir Walter Castledene et Paulents ? Au lieu de cela, encore sous le coup du furieux combat, Castledene avait exercé une justice sommaire et jeté Stonecrop par-dessus bord. Le lieutenant félon avait-il réussi à atteindre le rivage, à se cacher et à retourner à Cantorbéry, ce qui correspondrait vraisemblablement aux dates ? Et ensuite ? Corbett s’arrêta d’écrire.
— Oui, oui, murmura-t-il.
Sir Rauf Decontet était un marchand prospère. Il n’était pas difficile de prouver qu’il avait, en secret, financé L’Indomptable. Stonecrop était-il venu à Cantorbéry menacer, faire pression, obtenir de l’aide par des flatteries ? Apportait-il la précieuse carte ? Et Sir Rauf Decontet, homme dépourvu de scrupules, avait-il voulu la garder et se prémunir contre les menaces en assommant Stonecrop au milieu de la nuit et en enterrant son cadavre dans ce jardin abandonné et envahi de mauvaises herbes ?
Le magistrat avala une gorgée d’eau et reprit son travail :
Secundo : Le présent. Nul n’avait revu Hubert le Moine. Lui et Servinus n’étaient-ils qu’une seule et même personne ? Hubert avait-il choisi de se rendre en Allemagne et de s’introduire chez Paulents ? C’était possible. Des mercenaires erraient dans toute l’Europe et se louaient dans la maison de tel ou tel marchand ou prince. Hubert était d’une intelligence exceptionnelle, doublée peut-être de la maîtrise de plusieurs langues et d’une certaine connaissance du monde. Comme on ne savait le décrire, il pouvait voyager sans être reconnu. Qui plus est, pourquoi Paulents aurait-il refusé
Weitere Kostenlose Bücher