Le tresor de l'indomptable
désir de vengeance d’Hubert comme les racines maléfiques de cette tragique affaire. Pourtant n’était-ce point là un leurre ? D’ailleurs, Hubert était-il seulement vivant ? Quelqu’un ne se servait-il pas du passé pour couvrir sa propre machination diabolique ? Tous, d’une certaine façon, y compris Warfeld, avaient un lien avec L’Indomptable. Et Berengaria ? Et Lady Adelicia qui battait des cils en jouant les innocentes et prétendait ne rien savoir des agissements de son époux ? Et Castledene ? Où était la vérité ?
CHAPITRE XI
In domo frigus patior nivale.
Même dans cette maison je suis transi.
Walafrid Strabon
Corbett réfléchissait. Les chants avaient cessé et une cloche sonna, annonçant que la messe de Jésus, la messe de l’aurore, allait débuter. Il finit de s’habiller en hâte, attrapa son ceinturon, le boucla autour de sa taille, puis jeta une chape sur ses épaules et remonta son capuchon. Il quitta la chambre, la ferma et descendit. Le ciel s’éclaircissait. Des frères lais s’affairaient de-ci de-là dans la cour et ouvraient les réserves. L’un sciait du bois, l’autre transportait de l’eau. D’un pas rapide, le magistrat pénétra dans le labyrinthe compliqué des bâtiments de l’abbaye, passa dans des couloirs vides, sonores et glacés, traversa des jardins tapissés de gel et entra dans l’église abbatiale par le grand porche. Les moines quittaient leurs stalles. Corbett décida d’assister à la célébration non devant le maître-autel, mais dans l’une des chapelles votives qui flanquaient le transept, endroit agréable au sol recouvert de tapis de Turquie où des braseros crachotants, à chaque coin, dispensaient leur chaleur. Il s’agenouilla sur le prie-Dieu et fit un signe de tête au vieux moine qui arrivait en traînant les pieds pour dire sa messe. Le clerc s’appuya au dossier rigide et regarda le célébrant commencer l’office. Il essaya de se discipliner en concentrant son attention sur le crucifix au-dessus de l’autel. Quand la messe fut dite et qu’il eut rendu grâces, il alla dans la chapelle de Notre-Dame et alluma trois lumignons à l’intention de Maeve et de ses deux enfants. Il s’apprêtait à sortir quand il s’entendit appeler. Le maître hôtelier arrivait à toute allure, les manches de sa bure battant comme les ailes d’un oiseau, ses sandales claquant sur les dalles.
— Sir Hugh, haleta-t-il, Sir Hugh, Dieu merci je vous ai trouvé ! Il faut que je vous montre quelque chose ! Les rats !
Et avant que le magistrat ait pu ouvrir la bouche, il l’entraîna hors de l’église et le conduisit dans une petite cour pavée hors de l’enceinte sacrée. Il ouvrit la porte d’un appentis qui sentait le foin moisi. Un morceau de sac était posé sur un tabouret cassé ; il contenait les cadavres boursouflés de quatre rats, le ventre distendu, les pattes rigides, les mâchoires ouvertes laissant voir des dents protubérantes et acérées.
— Je les ai découverts ce matin, raides morts, déclara le moine. J’avais mis du pain et du fromage, trempés dans ce vin, comme vous me l’aviez demandé.
Il poussa un soupir éloquent.
— Sir Hugh, quelqu’un vous voulait grand mal !
Corbett prit une pièce d’argent dans son escarcelle, saisit la main du vieillard et déposa la pièce dans sa paume.
— Eh bien, c’est raté ! C’est notre secret, mon frère. N’en dites rien à personne jusqu’à notre départ. Je vous prierai aussi d’être fort prudent quant aux boissons et à la nourriture qui seront servies.
Perplexe, le vieux moine plissa les yeux.
— Sir Hugh, vous courez un grand danger, céans, dans notre abbaye. C’est un scandale ! Le père abbé serait horrifié !
— Le père abbé ne le sera point, dit Corbett en souriant, car on ne lui en pipera mot. Mon frère, j’ai une autre faveur à vous demander, une faveur particulière. Autrefois, frère Fulbert, un magister, maître des élèves, enseignait ici. Est-il encore parmi vous ? Puis-je lui parler ?
— Frère Fulbert, oui, bien sûr, c’est un de nos aînés. Venez, je vais vous conduire chez lui. Il se lève tôt ; il l’a toujours fait.
Il guida le clerc à travers un dédale de galeries de pierre. Ils croisèrent des moines qui vaquaient à leurs tâches quotidiennes. L’abbaye se parait pour la Nativité : on apercevait partout des brouettes pleines de verdure, des baies de houx rouge sang se
Weitere Kostenlose Bücher