Le Troisième Reich, T1
l’Ouest ;
il lui arriva d’être manœuvre maçon. En novembre 1909, moins d’un an après son
arrivée à Vienne pour « défier le destin », il dut quitter sa chambre
meublée de la Simon Denk Gasse ; durant les quatre années suivantes, il
logea dans des taudis ou à l’hôtel, guère moins misérable, réservé aux hommes, au
n° 27 de la Meldemannstrasse, dans le 20e district de Vienne, près du
Danube ; pour ne pas mourir de faim, il hantait alors les soupes populaires.
On ne saurait s’étonner qu’il ait écrit vingt ans plus tard :
Vienne, ville qui est à la fois le symbole des plaisirs
innocents pour des gens sans nombre et un terrain de jeux pour ceux qui veulent
faire la fête, ne représente pour moi – je regrette d’avoir à le dire – que le
théâtre de la période la plus triste de ma vie.
Aujourd’hui encore. Vienne ne peut éveiller en moi que des
idées moroses. Le nom même de cette voluptueuse cité ne me rappelle que cinq
années de misère et de difficultés, cinq années pendant lesquelles je fus forcé
de gagner ma vie, d’abord comme journalier, ensuite comme peintre de modeste
envergure ; cela ne me rapportait qu’un revenu très réduit, qui jamais ne
suffit à seulement apaiser ma faim de tous les jours (38).
De cette époque, il dit qu’il n’avait jamais assez à manger.
La faim ne cessait de me tenir compagnie, ne me quittait
pas une seconde et se mêlait à tous mes actes… Ma vie était une lutte
continuelle contre cette compagne impitoyable (39).
Elle ne le poussa cependant pas une seule fois jusqu’à essayer
de trouver un emploi régulier. C’est clairement dit dans Mein Kampf :
il avait l’obsession de la petite bourgeoisie mesquine ; il craignait de
glisser dans la foule prolétarienne des ouvriers manuels. Il exploita cette
crainte quand il entreprit d’établir le Parti national socialiste à partir de
la grande masse des employés et bureaucrates « à cols blancs », jusque-là
inorganisée, laissée de côté, mal payée, comptant par millions des hommes imbus
de l’illusion qu’ils étaient en tout cas d’une classe supérieure à celle des « ouvriers ».
Quoiqu’Hitler prétende qu’une partie au moins de son revenu lui
était fournie par ses travaux de « peintre de petite envergure », il
ne donne pas de détails à cet égard dans son autobiographie, si ce n’est pour
noter qu’en 1909 et en 1910 il avait si bien amélioré sa situation qu’il n’eut
plus alors les activités d’un ouvrier ordinaire.
« Dès lors, dit-il, je travaillai indépendamment
comme petit dessinateur et aquarelliste (40). »
Comme beaucoup d’autres points d’ordre biographique qu’on
rencontre dans Mein Kampf, celui-ci n’est pas tout à fait exact. Sans
doute, les témoignages de ceux qui connurent Hitler à cette époque n’apparaissent
pas comme plus sûrs, mais on a pu en rassembler et en comparer suffisamment
pour obtenir une vue d’ensemble probablement plus précise et indéniablement
plus complète [8] .
Il est toutefois à peu près certain qu’Hitler ne fut jamais
peintre en bâtiments, comme l’ont prétendu ses adversaires politiques ; en
tout cas, on n’a pas de preuve qu’il ait jamais exercé ce métier. En fait, il
dessinait ou peignait de petites vues de Vienne, tableaux maladroits, représentant
habituellement un site ou un monument très connu : la cathédrale
Saint-Stéphane, l’Opéra, le Burgtheater, le palais de Schœnbrunn ou les ruines
romaines de son parc. A en croire ceux qui l’ont connu, il les copiait sur des
œuvres antérieures ; sans doute était-il incapable de dessiner d’après
nature.
Ses productions ont une raideur et une absence de vie
comparables aux esquisses grossières et peu soignées d’un architecte débutant, et
les personnages dont il lui arrivait de les doter sont si ridicules qu’ils font
penser à une bande comique. Dans mes notes, je retrouve cette mention, faite
après avoir examiné un carton de ses croquis : « Quelques figures. Mauvais.
Une des figures est presque une gueule. » Heiden dit qu’ils « se
tiennent comme de petits sacs tout gonflés devant les palais hauts et solennels
(41) ».
Il est probable que plusieurs centaines de ces œuvres pitoyables
furent vendues par Hitler à de petits commerçants pour orner un mur, à des
marchands qui les glissaient dans des cadres vides de leur étalage et à des
tapissiers qui parfois les clouaient
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