Le Troisième Reich, T1
ouvriers viennois. « Pendant près de deux heures, je me tins
là, le souffle coupé, contemplant le gigantesque dragon humain qui déroulait
lentement ses anneaux. Anxieux, oppressé, je finis par m’en aller pour rentrer
chez moi (48). »
Il entreprit de lire la presse des sociaux-démocrates, étudia
leur organisation et les discours de leurs chefs ; il médita leur
psychologie et leur technique politique. Il en tira trois conclusions qui lui
donnèrent la clef de leur influence sur les foules ouvrières : ils
savaient comment créer un mouvement de masse, condition indispensable à un
parti quel qu’il soit ; ils avaient acquis l’art de la propagande ; enfin,
ils connaissaient la valeur de ce qu’il appelle « la terreur spirituelle
et physique ».
Cette troisième découverte, quoique certainement amenée par un
défaut d’observation exacte, et imputable à ses partis pris extrêmes, intrigua
le jeune Hitler ; mais, dix ans plus tard, il allait la mettre au service
de ses propres desseins.
Je compris l’infâme terreur spirituelle exercée par ce
mouvement, particulièrement sur la bourgeoisie, qui n’est en état ni moral, ni
mental de supporter de telles attaques. A un signal donné, il déchaîne un
véritable torrent de mensonges et de calomnies contre l’adversaire qui lui
semble le plus dangereux, jusqu’à ce que les nerfs de la victime cèdent
complètement… La tactique a pour base une estimation précise de toutes les
faiblesses humaines, et sa réussite est d’une certitude presque mathématique…
Avec une même netteté, je me rendis compte de la puissance
de la terreur physique sur l’individu et sur les masses… En effet, tandis que
la victoire apparaît à ceux qui l’ont remportée comme un triomphe de la justice
de leur cause, l’adversaire vaincu ne croit plus, dans la plupart des cas, au
succès de la résistance à venir (49).
Jamais on n’a plus précisément analysé les tactiques nazies, telles
que Hitler devait les appliquer.
Deux partis politiques exercèrent une forte attraction sur lui
lors des premiers temps qu’il passa à Vienne, et il mit à les étudier ses
facultés d’examen, froides, pénétrantes et en constant développement. Il admira
d’abord celui des nationalistes pangermanistes, fondé par Georg
Ritter von Schœnerer, originaire des environs de Spital, en
Basse-Autriche, comme l’était la famille du futur Führer. Les
pangermanistes livraient alors un combat désespéré pour assurer la suprématie
germanique dans l’empire austro-hongrois. Bien qu’Hitler tînt Schœnerer pour un
« profond penseur » et qu’il s’enthousiasmât pour son programme de
nationalisme, d’antisémitisme et d’antisocialisme violents, d’union avec l’Allemagne
et d’opposition aux Habsbourg et au Saint-Siège, il ne tarda pas à comprendre
pourquoi ce parti avait échoué :
« Le mouvement ne sut pas reconnaître l’importance du
problème social, ce qui détacha de lui la masse véritablement militante. Sa
participation au parlement le priva de tout élan vigoureux et l’encombra de
toutes les faiblesses inhérentes à cette institution. Et sa lutte contre l’Église
catholique lui enleva la plupart des éléments excellents que la nation peut
revendiquer comme siens (50). »
Encore qu’Hitler dût l’oublier quand il accéda au pouvoir en
Allemagne une des leçons qu’il retira de ses années viennoises fut la vanité, pour
un parti politique, de la lutte contre l’Église. Expliquant pourquoi le
mouvement de Schœnerer appelé Los von Rom (Délivrons-nous de Rome) constituait
une erreur tactique, il déclare : « Sans s’attacher à ce qu’une
religion présente de critiquable, il ne faut à nul moment perdre de vue que, dans
tout le cours de l’histoire, un parti exclusivement politique n’a jamais réussi
à amener une réforme religieuse (51). »
Toutefois, aux yeux d’Hitler, la plus grande faute des
pangermanistes fut leur incapacité de soulever les masses et, même, de
comprendre leur psychologie. Il ressort avec évidence d’un examen des idées qui
commencèrent à se former dans son esprit quand il n’avait guère plus de vingt
et un ans, que ce fut là pour lui l’erreur capitale, et il ne la commit point
lorsqu’il fonda son propre mouvement.
Les pangermanistes en commirent une autre, dont il se garda
également : ils ne surent pas s’assurer l’appui des institutions
nationales établies et
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