Le Troisième Reich, T2
blocus total et implacable des
Iles Britanniques. Il serait vain d’imaginer, dit-il, que l’Empire britannique
puisse continuer le combat après la capitulation de la métropole. Dans une
telle éventualité, le Führer est bien résolu à maintenir le blocus de l’Angleterre…
Sa population se verra donc condamnée à mourir de faim.
Hess insista pour que les négociations fussent engagées
sur-le-champ. Son initiative, répétait-il à Kirkpatrick, « permettait à la
Grande-Bretagne d’entrer en pourparlers avec le Reich sans que son prestige ait
à en souffrir ». Un rejet de l’occasion offerte prouverait clairement qu’elle
ne souhaitait pas l’entente avec l’Allemagne. Hitler serait alors en droit – et
en fait, ce serait son devoir – de la vaincre et de l’asservir totalement. Il
tenait aussi à ce que le nombre des négociateurs fût aussi réduit que possible.
En qualité de ministre du Reich, « il ne saurait accepter d’être placé
dans la position d’un inculpé soumis aux feux croisés d’interrogatoires et de
commentaires de plusieurs personnes ».
Ce fut sur cette note ridicule que s’achevèrent les entretiens
avec Sir Kirkpatrick. Nous savons par les mémoires de Churchill (87) que le
cabinet britannique, assez curieusement, pria Lord Simon d’interroger Hess le 12 juin [117] .
Selon le défenseur de Hess, Lord Simon aurait promis à l’accusé de communiquer
ses ouvertures de paix au gouvernement britannique (88).
Les mobiles de Hess sont clairs. A son avis, pas l’ombre d’un
doute : l’Allemagne serait victorieuse et, à moins d’une conclusion
pacifique immédiate, anéantirait le Royaume-Uni. Cette paix, il la souhaitait
sincèrement, mais il existait un second motif plus ambigu à sa démarche : son
sentiment de frustration et de jalousie. La guerre avait amené son éclipse
personnelle. Depuis 1939, contrôler le Parti nazi en qualité d’adjoint du
Führer était devenu une besogne de second plan. A présent, deux choses
comptaient en Allemagne : conduire la guerre et diriger les Affaires
étrangères ; tâches qui absorbaient Hitler à l’exclusion de toute autre et
plaçaient à l’avant-scène des hommes tels que Gœring, Ribbentrop, Himmler, Gœbbels,
sans oublier les généraux.
Quoi de mieux, pour réintégrer la première place auprès de son
Führer bien-aimé, que cette trouvaille d’une audace insensée : négocier à
lui tout seul la paix avec l’ennemi britannique. D’autre part, comme beaucoup
de gros bonnets allemands, Hitler et Himmler en tête, Hess, l’homme au front
simiesque , l’alter ego du Führer à la direction du Parti nazi, avait une
foi aveugle en l’astrologie. A Nuremberg, il confia au docteur Douglas Mac
Kelly, psychiatre américain attaché à la prison, que d’après son horoscope
établi en 1940 par l’un de ses astrologues, il était destiné à apporter la paix
au monde.
En outre, son vieux mentor, le professeur Haushofer, prophète
munichois de la géopolitique, l’avait, paraît-il, vu en rêve s’avancer dans le
hall tendu de tapisseries d’un manoir anglais, portant entre les mains un
message de paix concernant deux grandes nations nordiques (90).
A un homme d’âge mental infantile tel que Hess, pareil alcool ne
pouvait que monter à la tête et, sans le moindre doute, contribuer à lui dicter
son extravagante mission en Angleterre. L’un des juges britanniques de Nuremberg
suggéra un autre mobile, assez plausible : Hess aurait cherché à préparer
une paix qui, délivrant l’Allemagne du front occidental, lui permettrait de
retourner toute sa force de frappe contre l’U. R. S. S. L’accusateur soviétique,
pour sa part, en était sûr ; Staline aussi. Sa méfiance détournée, à tort,
de l’Allemagne, se concentrait à présent sur l’Angleterre.
La fugue de Hess lui apportait la certitude qu’une sombre
machination se tramait entre Hitler et Churchill. Si elle réussissait, l’Allemagne
deviendrait libre d’assaillir l’Union Soviétique comme, deux ans plus tôt, grâce
à la Russie, elle avait assailli la Pologne. Staline connaissait la manœuvre
pour l’avoir lui-même secondée. Lorsque, trois ans plus tard, à Moscou, le
Premier Ministre britannique s’efforça de convaincre le dictateur russe qu’il n’en
était rien, celui-ci ne voulut pas le croire.
D’après les interrogatoires conduits par Ivor Kirkpatrick, il
est manifeste que Hess ignorait Barberousse ou, tout
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