Le Troisième Reich, T2
commune des
deux pays entre le fleuve Igorka et la mer Baltique. « J’ai trouvé l’attitude
conciliante du gouvernement soviétique extrêmement remarquable (93) », souligna-t-il.
Étant donné ce qui se tramait au moment même à Berlin, il y avait de quoi !
Que dire aussi de la continuité, remarquablement conciliante, des
envois russes de matières premières à l’Allemagne ? Le 5 avril, Schnurre,
chargé des négociations économiques entre Berlin et Moscou, faisait savoir avec
jubilation qu’après une période de stagnation due au « refroidissement des
relations politiques » germano-russes, les fournitures de céréales, pétrole,
manganèse, métaux non ferreux et métaux précieux reprenaient un rythme accéléré.
« Le trafic transitaire à travers la Sibérie se poursuit régulièrement, ajoute-t-il.
Sur notre demande, le gouvernement soviétique vient même de mettre à notre
disposition, à la frontière de Mandchourie, un train spécial qui nous permettra
d’acheminer rapidement notre commande de caoutchouc en provenance d’Extrême-Orient
(94). »
Six semaines plus tard, le 15 mars, ce n’était pas un train
mais plusieurs que les Russes, vraiment obligeants, mettaient à la disposition
de l’Allemagne pour amener à destination, par la voie transsibérienne, 4 000
tonnes de caoutchouc brut.
« J’ai le sentiment, ajoute l’attaché commercial, que
nous pourrions même obtenir une somme de fournitures supérieure à celle que
fixe notre contrat du 10 janvier (95). »
En revanche, les fournitures allemandes à la Russie (notamment
de machines-outils) se ralentissent, observe Schnurre, mais, puisque les Russes
ne paraissent pas s’en soucier, moi non plus. Cependant, le 15 mai, un
fait nouveau trouble sa quiétude et il se plaint :
« Les rumeurs sans nombre qui circulent au sujet d’un
imminent conflit germano-russe nous créent de graves difficultés. Assez
curieusement, elles émanent non pas des Russes, mais des firmes industrielles
allemandes, qui essaient de dénoncer leurs contrats avec les Soviets. »
Hitler, bien entendu, faisait de son mieux pour contredire ces
rumeurs mais, en même temps, il s’acharnait à persuader les chefs militaires et
les hauts fonctionnaires nazis du danger que faisait courir à l’Allemagne une
agression probable de la Russie ! Grâce à leurs propres renseignements, les
généraux de la Wehrmacht savaient à quoi s’en tenir, mais l’extraordinaire
envoûtement qu’Hitler exerçait sur eux était tel que, même après la débâcle, Brauchitsch,
Halder, Manstein et autres membres du haut commandement, à l’exception de von
Paulus, plus honnête, prétendirent qu’au début de l’été les concentrations de
troupes russes à la frontière polonaise impliquaient une grave menace !
Lors de son séjour à Berlin, en avril 1941, le comte von der
Schulenburg, dont j’ai mentionné le rôle à plusieurs reprises, s’efforça de
convaincre Hitler des intentions pacifiques de la Russie.
« Si, en 1939, dit-il, la Russie s’est abstenue de s’allier,
contre nous, à la France et à l’Angleterre encore vigoureuses toutes les deux, ce
n’est pas aujourd’hui, alors que la France est vaincue et l’Angleterre aux
abois, qu’elle va commettre l’imprudence de nous provoquer. Je suis certain, au
contraire, que Staline est disposé à s’engager plus avant dans la voie des
concessions. »
Le Führer feignit le scepticisme. L’affaire yougoslave l’avait
mis sur ses gardes, prétendit-il hypocritement. « Quel démon a poussé les
Russes à conclure un pacte d’amitié avec les Yougoslaves ? dit-il [119] .
A vrai dire, je ne pense pas que cela nous conduise à une agression russe, mais
je dois être prudent. »
Hitler se garda bien de divulguer à son ambassadeur ce qu’il
tenait en réserve pour l’U. R. S. S. Von Schulenburg, honnête homme et
diplomate de la vieille école, l’ignora jusqu’au bout. Staline également, mais,
lui, ne pouvait rester aveugle aux symptômes qui, petit à petit, trahissaient
les menées du Führer. Le 22 avril, il émit une protestation officielle
contre quatre-vingts violations de frontière commises par des avions allemands
entre le 27 mars et le 18 avril et fournit tous les détails relatifs
à chacune.
L’un de ces appareils de reconnaissance, tombé le 15 avril
dans les parages de Rovno, contenait une caméra, plusieurs bobines de pellicules
impressionnées et un
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