Le Troisième Reich, T2

massive et les hommes du Sonderkcommando entraient en
action. C’étaient des détenus juifs auxquels on avait promis la vie sauve et
une nourriture convenable pour ce travail, le plus atroce de tous [204] .
Protégés par des masques à gaz, des bottes de caoutchouc et brandissant des
tuyaux d’arrosage, ils se mettaient à l’ouvrage. Voici ce qu’en dit Reitlinger :
    Leur première tâche consistait à enlever le sang et les
excréments avant de séparer les corps agrippés à l’aide de crochets et de nœuds
coulants, prélude à l’horrible recherche de l’or, à l’enlèvement des dents et
des cheveux, considérés par les Allemands comme des matières premières
stratégiques. Puis c’était le trajet par ascenseurs ou wagonnets sur rails
jusqu’aux fours crématoires, au moulin qui broyait le résidu en cendres fines
et au camion qui allait disperser les cendres dans la rivière Sola [205] .
    Il ressort des documents tombés aux mains des Alliés qu’une vive
concurrence opposa plusieurs industriels allemands désireux d’obtenir la
commande de dispositifs destinés à liquider les vivants et les morts, ainsi que
celle des mortels cristaux bleus. Ce fut la société I. A. Topf et fils, d’Erfurt,
qui l’emporta pour les fours crématoires d’Auschwitz. Toute l’histoire de cette
affaire se trouve relatée dans une volumineuse correspondance retrouvée dans
les dossiers du camp. Une lettre envoyée par la Société en date du 12 février
1943 donne le ton :
     
    AU BUREAU
CENTRAL DE CONSTRUCTION DES S. S. ET DE LA POLICE, AUSCHWITZ :
    Objet  : Crématoire 2 et 3 pour le camp.
    Nous vous accusons réception de votre ordre concernant 5
fourneaux triples comprenant deux ascenseurs électriques pour emporter les
corps et un ascenseur de secours. Vous avez également commandé un appareil
pratique pour alimenter les fours en charbon et un autre pour assurer le
transport des cendres (60).
    Mais Topf et fils n’était pas la seule firme impliquée dans cette
sombre affaire. Deux autres virent leurs noms cités au cours des procès de
Nuremberg, tandis qu’on produisait une partie de leur correspondance. La
liquidation des corps suscita également une vive concurrence commerciale dans
plusieurs autres camps. Ainsi les usines Didier, de Berlin, sollicitèrent la
commande d’un four crématoire auprès des autorités d’un camp nazi de Belgrade
et se déclarèrent en mesure de fournir une installation de qualité supérieure :
    « Pour mettre les corps dans le foyer, nous suggérons
simplement l’emploi d’une fourche métallique se déplaçant sur des cylindres.
    « Chaque appareil comportera un four mesurant
seulement 60 centimètres sur 45 centimètres, dimensions suffisantes puisque l’on
n’utilisera pas de cercueils. Pour transporter les corps aux fours, nous
suggérons l’emploi de charrettes légères dont nous vous donnons ci-joint les
plans dessinés à l’échelle (61). »
    Une autre firme, C. H. Kori, se mit, elle aussi, sur les rangs
pour obtenir une commande de Belgrade, faisant valoir sa grande expérience dans
ce domaine et rappelant qu’elle avait déjà construit 4 fours crématoires pour
Dachau et 5 pour Lublin, qui, tous, disait-elle, avaient donné « pleine et
entière satisfaction à l’usage ».
    « Comme suite à notre entretien concernant la
livraison d’une installation de construction simple pour l’incinération des
corps, nous avons l’honneur de vous soumettre les plans de nos fours
crématoires perfectionnés, marchant au charbon, et qui ont jusqu’ici donné
entière satisfaction.
    « Nous suggérons l’installation de 2 fours crématoires
pour le bâtiment projeté, mais nous vous conseillons de vous assurer auparavant
si 2 fours suffiront à vos besoins.
    « Nous vous garantissons l’efficacité de nos fours
ainsi que leur solidité, la qualité supérieure des matériaux que nous employons
et le fini de notre travail.
    « Dans l’attente de votre réponse, nous restons à
votre entière disposition.
    « Heil Hitler !
    « C. H. Kori, G. m. b. H (62). »
    Mais vers la fin, malgré les efforts inlassables de la libre entreprise
allemande, malgré l’excellence de ses matériaux et le fini de ses fabrications,
les installations ne suffirent plus à brûler les corps des victimes. Les fours
crématoires si bien construits prirent du retard dans plusieurs camps et en
particulier à Auschwitz, où en 1944 il fallut brûler plus de 6 000