Le Troisième Reich, T2
ses soins.
Pour la première fois de ma vie, je dois refuser
catégoriquement d’obéir à un ordre du Führer. Ma femme et mes enfants se
joignent à moi dans ce refus. En dehors du fait que des sentiments d’humanité
et de fidélité personnelle nous interdisent d’abandonner le Führer en cette
heure suprême, je craindrais de passer pour un traître infâme, pour un
misérable jusqu’à la fin de mes jours ; de plus, je perdrais tout respect
de moi-même et le respect de mes concitoyens…
Dans le cauchemar de trahison qui enveloppe le Führer, en
ces jours très critiques de la guerre, quelqu’un doit demeurer auprès de lui, sans
réserves, jusque dans la mort…
Je suis donc persuadé de rendre le plus grand service au
peuple allemand par ma conduite. Dans l’avenir difficile qui nous attend, les
exemples prendront plus d’importance que les hommes…
Pour cette raison, en accord avec ma femme, et de la part
de mes enfants qui sont trop jeunes pour exprimer une opinion personnelle mais
qui approuveraient sans réserve cette décision s’ils étaient en âge de la
comprendre, j’exprime mon inébranlable résolution de ne pas quitter la capitale
du Reich, même en cas de défaite, et de préférer rester aux côtés du Führer
pour terminer une existence qui n’aura plus de valeur si je ne puis la passer
au service du Führer et près de lui (23).
Le docteur Gœbbels termina la rédaction de
son testament à cinq heures trente, le matin du 29 avril. L’aube se levait
sur Berlin, mais le soleil se cachait derrière un écran d’épaisse fumée. Il
restait encore beaucoup de travail à faire. La première tâche était de faire
parvenir le testament du Führer à Dœnitz, afin de le
préserver pour la postérité ; pour cela, il fallait traverser les lignes
russes toutes proches.
Trois messagers furent choisis pour emporter des exemplaires de
ce précieux document : le commandant Willi Johannmeier, aide
de camp d’Hitler ; Wilhelm Zander, officier S. S. et
conseiller de Bormann ; et Heinz Lorenz, un officiel
du ministère de la Propagande, qui avait, la veille au soir, apporté la
bouleversante nouvelle de la trahison d’Himmler. Johannmeier, officier
très décoré, devait emmener le groupe à travers les lignes de l’Armée Rouge.
Lui-même devait remettre son exemplaire au feld-maréchal
Ferdinand Schœrner, dont l’armée se cramponnait encore aux monts de Bohême et
qu’Hitler avait nommé nouveau commandant en chef de l’armée. Le général Burgdorf avait joint au pli une lettre informant Schœrner qu’Hitler
avait rédigé son testament « sous l’influence de la terrible nouvelle de
la trahison d’Himmler. Il représente son irrévocable décision ». Zander et
Lorenz devaient porter leurs exemplaires respectifs à Dœnitz. Bormann donnait à
Zander un ordre de mission adressé à Dœnitz :
Cher grand amiral,
Puisque aucune division n’a réussi à parvenir jusqu’à nous
et que notre position paraît sans espoir, le Führer a dicté cette nuit le
Testament politique ci-joint. Heil Hitler.
Les trois messagers se mirent en route à midi pour accomplir
leur dangereuse mission. Ils se dirigèrent prudemment vers l’ouest, en passant
par le Tiergarten et Charlottenburg, pour atteindre Pichelsdorf au bout du lac
Havel, où un bataillon de Jeunesses Hitlériennes tenait le pont, dans l’attente
de l’armée fantôme de Wenck. Il leur avait fallu franchir trois zones occupées
par les Russes : la Colonne de la Victoire au milieu du Tiergarten ; la
gare du Zoo, juste aux confins du Tiergarten, les abords de Pichelsdorf. Mais
de nombreuses aventures les attendaient encore [292] .
Les trois hommes parvinrent à franchir tous les obstacles, mais
beaucoup trop tard pour que les documents pussent servir à Dœnitz et Schœrner, qui
ne les virent jamais.
Ils ne furent pas les seuls à quitter le bunker ce jour-là. Le 29 avril
à midi, Hitler, reposé et calmé, présida comme d’habitude la réunion d’information
qu’il tenait chaque jour à la même heure, depuis six ans, pour s’enquérir de la
situation militaire, tout comme s’il n’avait pas atteint le bout de la route. Le
général Krebs révéla que les Russes s’étaient encore rapprochés de la Chancellerie
durant la nuit et les premières heures du matin. Les munitions des défenseurs
de la ville s’épuisaient.
On n’avait toujours aucune nouvelle de l’armée tant attendue de
Wenck. Trois
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