Le vétéran
jour o˘ la paix du Seigneur descendra sur la terre.
Le loup habitera avec l'agneau,
La panthère se couchera avec le chevreau.
Le veau, le lionceau et la bête grasse iront ensemble, Conduits par un petit garçon.
La vache et l'ourse paîtront,
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Ensemble se coucheront leurs petits. Le lion...
H tourna la page après ces mots, mais comme deux feuillets de papier de riz s'étaient collés ensemble, le texte n'avait plus aucun sens. H interrompit sa lecture, essayant de dissimuler son embarras. Une voix juvénile s'éleva alors devant lui, depuis le milieu de la troisième rangée : Le lion comme le bouf mangera de la paille.
Le nourrisson jouera sur le repaire de l'aspic, Sur le trou de la vipère le jeune enfant mettra la main.
On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte
Car le pays sera rempli de la connaissance de Yahvé, Comme les eaux couvrent le fond de la mer.
Dans le plus grand silence, la congrégation contempla d'un air ahuri le personnage aux vêtements malpropres et aux cheveux ornés d'une plume d'aigle. John Ingles finit par trouver la suite du passage.
- C'est tout à fait ça. Voilà la fin du premier sermon. Après le repas, il dit à Charlie dans son bureau :
- Je ne comprends rien à ce jeune homme. H ne sait ni lire ni écrire, et pourtant il récite des passages de la Bible qu'il a appris dans son enfance. C'est lui qui est bizarre ou c'est moi ?
- Ne vous tracassez pas. Je crois que j'ai cerné le personnage. Il a vraiment été élevé par un couple qui avait choisi de vivre isolé en pleine nature. C'est vrai aussi qu'il a été recueilli après leur mort, de manière non officielle et probablement illégale, par un vieux célibataire qui l'a traité comme son propre fils. Il n'a donc effectivement reçu aucune éducation scolaire. En revanche, il y a trois choses qu'il maîtrise à
fond : la Bible que sa mère lui lisait, la vie des dernières régions sauvages, et l'histoire de l'Ouest au XIXe siècle.
- Comment il connaît tout ça ?
- Sans doute par le vieil homme. Supposons qu'il soit mort il y a trois ans, à l'‚ge de quatre-vingts ans. Dans ce cas, il était déjà né à la fin du siècle dernier. ¿ l'époque, les conditions de 286
vie étaient plutôt rudimentaires, dans la région. H a d˚ raconter au garçon ce qu'il se rappelait, ou ce que des survivants lui avaient dit de la Frontière.
- Mais pourquoi joue-t-il si bien son rôle ? Croyez-vous qu'il soit dangereux ?
- Non, pas le moins du monde. H vit seulement dans l'illusion. Il s'imagine qu'il a le droit de chasser et de capturer des animaux à sa guise, comme les gens d'autrefois.
- H joue un rôle ?
- Oui, mais si on va par là, c'est notre cas à tous. Le professeur éclata de rire en se tapant sur les cuisses.
- …videmment, c'est ce que nous faisons tous. Mais lui, il s'y prend spécialement bien. Charlotte se leva en disant :
- C'est parce qu'il croit en ce qu'il fait. Laissez-moi m'occuper de lui.
Je veillerai à ce qu'il ne crée pas d'ennuis. Soit dit en passant, deux des filles lui font déjà les yeux doux.
Au dortoir, Ben Craig trouvait toujours curieux que ses compagnons, quand ils se déshabillaient pour la nuit, ne gardent qu'un caleçon court en coton, tandis que lui préférait dormir dans ses sous-vêtements blancs qui descendaient jusqu'aux mollets. Au bout d'une semaine, cette habitude posa un problème, que les jeunes gens confièrent à Charlie.
quand elle alla voir Craig, il venait de couper du bois. Abattant sa hache à long manche, il débitait des branches de sapin pour alimenter le fourneau des cuisines.
- Ben, je peux vous demander quelque chose ?
- Bien s˚r, m'dame.
- Appelez-moi Charlie.
- D'accord, m'dame Charlie.
- Ben, est-ce que ça vous arrive de prendre un bain ?
- Un bain ?
- Euh... oui, de vous déshabiller complètement et de vous laver ? En entier je veux dire, pas juste les mains et le visage.
- Oui, m'dame, je fais ça régulièrement.
- Je suis ravie de l'apprendre. La dernière fois, c'était quand?
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D réfléchit quelques instants. Le vieux Donaldson lui avait dit qu'il était indispensable de se laver régulièrement, mais l'eau glacée des ruisseaux n'incitait pas à un usage trop fréquent.
- C'était le mois dernier.
- Je m'en doutais un peu. «a vous ennuierait de prendre un autre bain ?
Tout de suite ?
Dix minutes plus tard, elle le vit faire sortir de l'écurie sa jument sellée.
- O˘ allez-vous, Ben
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