Le Voleur de vent
branche dénudée et le
jeune prêtre, distrait, l’observa.
Lorsqu’il regarda de nouveau vers l’étrange
colonne, les derniers soldats royaux disparaissaient au détour d’une forêt aux
cimes d’arbres blanchies de neige.
Alors, pour que ses paroles échappent aux
autres qui ne l’auraient point compris, le jeune prêtre murmura :
— Pauvre créature !… Dieu ait pitié
d’elle car en vérité ses souffrances semblent à la mesure de ses crimes et
valent celles des pauvres âmes perdues en les enfers !…
Élisabeth de Sèze
posa son livre et regarda son frère Louis qui, assis devant la cheminée, lui
tournait le dos et semblait en grande fascination des flammes.
Sans doute l’amour qui lie frère et sœur
est-il quelquefois si fort qu’il en paraît magique car Louis devina le regard d’Élisabeth
et demanda d’une voix très douce :
— À quoi songez-vous ?…
— Vous le savez, monsieur mon frère, et
même votre gentillesse ne peut porter remède à un mal dont je suis seule
responsable.
Il se leva, s’adossa à la cheminée et regarda sa
sœur. Son fin visage ne se défaisait jamais plus d’une expression douloureuse
qui lui restait du temps où il se trouvait en l’état de galérien.
— Élisabeth, tout cela n’est point chose
achevée qu’il faille considérer qu’il est à jamais impossible d’y revenir. Songez
que vous avez rencontré bien peu notre cher comte de Nissac et que, si l’impression
que vous lui fîtes ne parut point bonne, elle se peut modifier lors de sa
prochaine visite.
Elle se leva à son tour et entreprit des
aller-retour nerveux d’un mur de la pièce à l’autre.
— Louis, Louis !… Je crains que vous
n’ayez point l’entendement de ces choses !… Revient-on jamais, lorsqu’on
est homme de trente ans, sur le jugement que vous inspire une femme en la
première rencontre ?… Je fus détestable.
Il s’approcha et lui saisit les mains qu’il
porta à sa bouche pour les baiser.
— Ma sœur bien-aimée, quelle douleur de
vous voir si malheureuse quand tout n’est peut-être point joué.
Elle se dégagea sans s’apercevoir de la
brutalité de son geste et reprit son va-et-vient.
— C’est ainsi, pourtant. Il connaît la
Cour et d’autres femmes que moi qui suis perdue en ma province. Celles-là
savent sans doute parler d’amour et même faire accroire qu’elles aiment quand
ce n’est point le cas alors que moi, mes manières furent rudes.
— Elles sont franches, sans calcul.
— Mon frère, trop souvent on dissimule
sous le beau masque de la vertu ce qui n’est point autre chose qu’absence d’esprit
de conquête en les entreprises amoureuses.
— Nissac est homme de sincérité qui n’aime
point les artifices.
Élisabeth se trouva un instant apaisée par la
constance des certitudes de Louis, certitudes qui ne vacillaient point. Elle s’approcha
des flammes et y laissa longuement son regard puis, à mi-voix :
— Louis, cher frère, il entre en tout
amour une part de calcul, manœuvre ou fausseté car la vérité est parfois trop
difficile à dire ou à entendre. Or ce prix, celui du mensonge de circonstance, est
davantage que je ne saurais consentir car en le triomphe de l’instant, on
cultive les défaites de demain.
Louis éprouva quelque peine à entendre ce que
sa sœur ne disait point, ou suggérait en grand détour.
— Ma sœur, est-il nécessaire de se
torturer l’esprit comme hélas vous le faites ? Nissac sait bien des choses.
Il n’ignore pas que notre château est vieux, les revenus bien modestes, la
vigne ingrate et les saisons toujours en grand caprice. Et je sais pour lassez
bien connaître que cela n’est point son souci. Ne reste donc que vos sentiments,
et pourquoi en douteriez-vous quand vous seule les connaissez ?
— Il est une autre rivale encore : la
mer.
Louis hésita peu :
— Il est heureux de naviguer, mais
pourquoi ?… J’ai parlé à ses marins, ses officiers… Nissac est un homme
désespérément seul, irrémédiablement seul.
— C’est là son souhait ?
— Je ne sais… Mais la solitude est trop
vieille compagne du vice-amiral qu’il n’ait fini par l’aimer. Méfiez-vous-en, ma
sœur et qu’aucune autre femme ne chasse ce désir de solitude car celle-là sera
celle qu’il aimera.
Élisabeth faillit répondre et se ravisa. Elle
savait sa position des plus délicates : être aimée de Nissac, mais ne
jamais quitter son frère un instant.
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