Le Voleur de vent
dit-il
sans grande conviction :
— Monsieur le comte, vous allez en cette
affaire contre l’usage courant.
— Sergent, lorsque l’usage est mauvais, il
faut en changer.
— Mais que vais-je leur dire ?
Nissac, amusé, monta sur une borne et s’adressa
à la foule :
— Femmes, voyez vos maris et combien ils
sont tristes. Pourquoi l’usage les a-t-il exclus de cette pratique qui, cette
fois, les concernerait ?… Femmes, ne vous ont-ils donc jamais trompées ?
Une sourde rumeur lui répondit favorablement. Il
poursuivit :
— Eh bien qu’on les mette nus et les
fasse courir à travers la ville pour donner air à leurs gros ventres et
fraîcheur aux furoncles de leurs lourdes fesses.
Des hommes protestèrent, certains clamant qu’ils
n’avaient ni gros ventre ni furoncles, d’autres que pareil traitement serait
barbarie, mais trois d’entre eux, soit deux puceaux et un vieux bouc, ravis, se
dévêtirent, proclamant qu’ils rêvaient depuis longtemps déjà de se promener nus
en la ville sous le regard des dames. Aussi, on entama conversation, car si
certaines femmes voulaient égalité de traitement, d’autres argumentaient que
tel spectacle serait grande horreur pour les yeux.
Pendant ce temps, certaines, les silencieuses,
concentraient leur attention sur étrange vision : sur grand cheval noir et
aveugle venu d’Andalousie, femme adultère se trouvait ramenée chez elle par ce
seigneur portant chapeau à plumes, et ce cavalier laissait derrière lui bien
des cœurs rêveurs.
Ainsi, femmes et hommes traversent
fugitivement la vie d’hommes et de femmes sans jamais savoir qu’ils ont séduit,
et quelquefois pour toujours…
37
« Jaune » ne savait plus en mesure d’exactitude
ce qu’il devait penser. Au reste, il ne savait point s’il s’en trouvait encore
capable. « Le Maître » le lui avait dit, à lui et aux autres
loups-garous : « Obéissez en l’instant, et toujours. Alors vous ne
connaîtrez point les tourments de ceux qui ignorent où ils doivent guider leurs
pas. »
« Jaune » s’interrogeait sur ces
paroles rassurantes en une vie qui, elle, ne l’était point. En peu de temps, les
loups-garous qui partageaient son existence l’avaient accepté comme étant des
leurs mais il n’était pas en grande certitude de le souhaiter.
Il eût aimé entendre autres conseils que ceux
du « Maître » et savoir s’il n’existait point conduite différente qui
fut possible en sa vie. Cependant, cette pluralité n’était guère envisageable
sérieusement car il n’entrait en le château des chimères que loups-garous, ou
enfants destinés à ne point vivre longtemps, mais nul fin causeur trouvant place
auprès de la cheminée – il n’en existait d’ailleurs pas – pour discuter de ces
choses et du choix qu’on en avait.
Avec une audace de pensée qui, un instant, lui
causa grande frayeur, « Jaune » songea que le cours de son existence
nouvelle ne lui laissait point grande satisfaction.
En sa vie précédente d’errance, où on le
pourchassait, s’il commettait parfois « le grand péché », qui
consiste à tuer petits enfants, il lui arrivait de renoncer. Il se produisait
alors, en mystère de son cœur et de son âme qu’il ne parvenait jamais à percer,
phénomène que certains appellent « pitié ».
Ainsi était-il libre de ne point tuer tel
enfant au regard profond, ou tel autre aux gestes maladroits provoquant émotion.
Libre de cela, mais aussi d’aller et venir, sans se trouver prisonnier en cette
cellule dont les barreaux enfermaient son corps et pareillement l’espoir de
courir encore en les vallons mouillés de rosée, ou de s’asseoir sur méchante
pierre pour voir soleil disparaître derrière épaisse forêt de sapins.
Il chassa cette pensée, suivant le maître qui
le précédait en les souterrains jonchés d’ossements. Le bruit des clés que l’ambrosien
tenait en sa main rendait un son joyeux, inattendu en cet endroit sinistre.
« Jaune » marchait derrière « le
Maître » avec application, avec la certitude qu’il se devait surveiller en
tous les instants car jamais l’homme au visage mutilé n’avait semblé totalement
convaincu que le dernier loup-garou arrivé en le château des chimères fût
pareil aux autres en le renoncement à toute humanité.
— J’ai prévu pour toi belle récompense !…
dit le Maître sans même tourner la tête.
— Hon-Hon !
Ne point parler. Exprimer, en ce
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