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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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Attendait-elle un autre Dieu, à
visage humain, ou Le priait-elle de lui envoyer l’un de ses anges, l’un de ses
émissaires pour la libérer, comme autrefois Israël ?
    Aguilah voyait encore ce regard l’effleurer
avec froideur, puis glisser loin de lui.
    Cela suffit, pensa
Aimery. Et en observant l’évêque, il lui sembla deviner une vérité atroce.
    Est-ce pour cela ? Est-ce pour cela
que tu fais la guerre, Aguilah ? Est-ce pour cela, que tu es prêt à mettre
tout entier le pays à feu et à sang ? Parce que tu n’as jamais su aimer
une femme ?
    Il ferma les yeux, humant les parfums qui
venaient alors l’habiter tout entier.
    C’est elle, Aguilah, ton Occitanie. Ta
cathare. Ton hérétique.
    Aimery se pencha et souffla :
    — Il faut fuir, Héloïse, tu m’entends ?
Partons !
    Mais il était contraint d’attendre. Il
comprenait maintenant tous les mots d’Escartille, ses descriptions des passions
du cœur, ses élans de joie et de souffrance qu’il n’avait cessé de clamer en
vers et en musique. Il découvrait qu’il aimait, tandis que la cérémonie continuait
d’avancer comme un châtiment cruel. Il regardait les voûtes romanes, l’autel où
l’on préparait le calice et l’hostie, les enfants de chœur qui, eux aussi, étaient
entraînés dans le ballet de cet affrontement. Ils servaient, dans leur robe
blanche, des enjeux qui pourtant les dépassaient, et auxquels ils ne devaient
pas comprendre grand-chose ; seuls restaient le spectacle quotidien de la
violence, l’exaspération des populations et l’inquiétude mortelle de leurs
familles.
    Vint le moment de l’eucharistie. Les
fidèles avancèrent de chaque côté de l’église, en une lente procession, tandis
que le prêtre et Aguilah, après avoir consacré le pain et le vin, descendaient
solennellement quelques marches pour donner les hosties de communion. C’est
l’heure du petit gâteau, pensa Aimery, se souvenant de ces paroles qu’il
avait entendues quelques années plus tôt, et qui l’avaient marqué ; elles
avaient été proférées par un cathare qui, lui aussi, avait péri sous la torture.
Sitôt qu’il avait lâché son mot, l’homme avait mis la main devant sa bouche, comme
pris en faute, et avait regardé autour de lui avec inquiétude. On l’avait pendu
pour ce blasphème deux jours plus tard.
    Le feu cathare était là, encore présent dans l’église
même. Il était impossible à la population à moitié repentante de ne pas s’y
montrer, si elle voulait échapper aux foudres quotidiennes ; et malgré
tout, les braises subsistaient, il suffisait d’un rien pour les réveiller. L’esprit
de l’hérésie semblait planer avec les volutes d’encens autour de ces piliers. Entre
catholiques sincères et convertis de raison, chacun avait fait un choix que le
doute persistant ne cessait de mettre à mal. Dans ce pays désorienté, mis à sac
depuis trente ans, la plupart pensaient avant tout à protéger leur vie, et
celle de leurs familles, quitte à se taire ; les autres ne pouvaient qu’afficher
avec arrogance leurs certitudes.
    Ce fut bientôt au tour d’Aimery. On le pressa
à gauche, jouant des coudes. Une femme lui lançait des éclairs. Le jeune homme
mesura de nouveau le danger qui le guettait. Folie, oui, folie, se
répétait-il sans cesse.
    C’était exactement ce que pensait Héloïse en
avançant dans l’allée centrale.
    Mais sa peur mortelle était balayée par une
injonction plus puissante encore.
    Qu’il me voie. Oui, qu’il me voie encore.
    Et qu’il ne m’oublie jamais.
    On pressait Aimery avec exaspération ; il
avança, faisant mine de boitiller. Il parvint à se placer de nouveau juste
derrière Héloïse, dans l’allée centrale.
    Escartille se hissa sur la pointe des
pieds ; ce qu’il vit le fit frémir d’horreur.
    Non, non ! Vous avez perdu la tête !
    —  Héloïse,
viens, par pitié, viens !
    Elle continuait d’avancer. Aimery leva les
yeux. Une croix, qui lui parut gigantesque, se dressait derrière Aguilah. Il
continua de progresser lentement. Tous deux n’étaient plus qu’à quelques pas de
l’évêque, qui donnait l’hostie avec deux autres abbés.
    — Héloïse, tu vas tous nous tuer, viens
tout de suite !
    Héloïse ne l’écoutait pas, comme en transe.
    —  Héloïse, je ne vais pas pouvoir te
suivre !
    N’y tenant plus, Aimery sortit du rang.
    Il tourna les talons et se retrouva à
contre-courant. Il y eut de nouveaux remous et

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