L'Église de Satan
venus
aussitôt leur prêter main-forte.
Le faucon cria.
Ils montaient, épuisés par une longue
chevauchée qui les avait emmenés d’Auterive à Saverdun, de Saverdun à Plaigne
et Mirepoix, et de là à la route de Montségur, en prenant soin d’éviter
Lavelanet. Au cœur du pays d’Olmes, ils avaient fait halte à plusieurs reprises.
À présent, Héloïse était descendue de cheval ; elle était morte de fatigue
et ne pouvait plus supporter d’être juchée sur l’animal. Aimery avait fait de
même. D’un bras, il entourait ses épaules, s’efforçant de la réchauffer, car en
ces derniers jours d’avril, un froid glacial était tombé sur les environs. Il l’embrassait
de temps en temps et lui murmurait des mots d’encouragement. Escartille et le ductor les précédaient, au pas. Aimery regarda Héloïse. Ses cheveux
dansaient sur son front. Elle avait les joues roses, sa bouche était rouge sang ;
elle semblait avoir de la fièvre. Une larme perlait parfois de ses longs cils. Cette
fois, elle semblait vaincue ; la tension retombait un peu, mais la douleur
et l’abattement physiques achevaient de la vaincre. L’imaginer plus souffrante
que jamais était devenu intolérable à Aimery, qui multipliait les prévenances à
son égard, bien dérisoires au regard de la situation dans laquelle ils se
trouvaient.
En arrivant vers Montségur, avant d’en
attaquer l’ascension, ils avaient croisé quelques familles de paysans en
guenilles qui, eux aussi, convergeaient vers le château, pour y trouver refuge
ou pour y apporter des vivres et des provisions nouvelles. Le spectacle des
villages qu’ils avaient traversés était désolant. Lorsque, soudain, l’on
comprenait qu’Escartille était un parfait en fuite, on se pressait autour de
lui ; des familles entières sortaient sur le pas de leur porte. Ici, c’était
lui que l’on l’appelait « mon père » ; des bras d’enfants se
tendaient vers lui, des femmes tombaient à genoux en faisant leur melhorier et en demandant l’imposition des mains. Dans ce climat de pleurs et d’espérance
mêlés, Escartille, le cœur serré, s’arrêtait de temps à autre pour satisfaire à
ces demandes qu’il n’avait pas le courage de refuser, avant que le ductor de la Confrérie Noire le presse d’avancer. Un peu plus loin, des soldats de la
citadelle du vertige, aux avant-postes, leur avaient demandé leurs méreaux. Ils
leur avaient indiqué le meilleur chemin à suivre, mais le ductor en
était déjà avisé. On l’avait reconnu, c’était un fidèle agent de Bertrand Marty.
Il avait fini par ôter son capuchon ; Escartille et les siens avaient
découvert un homme vigoureux, d’une quarantaine d’années, aux sourcils noirs, à
la barbe drue, le visage fermé ; il ressemblait à l’un de ces montagnards
du pays, habitué aux longues routes. Il les avait menés jusque-là sans la
moindre hésitation, avec toute la prudence et la rapidité nécessaires.
L’ascension n’en finissait pas. Les
derniers rayons du couchant, effleurant les collines, irisaient dans le
lointain les contreforts pyrénéens, nimbant le paysage d’une atmosphère étrange.
Devant la petite troupe, les arbres semblaient s’entremêler dans des cris
silencieux. Ils trébuchaient souvent sur les cailloux ; leurs pieds les
faisaient souffrir ; ils continuaient pourtant d’avancer, se soutenant les
uns les autres comme ils le pouvaient.
Puis, tout à coup, ils le virent.
— Le voilà, dit Escartille, soufflé par
tant de noire beauté.
Bienvenue dans l’Église
de Satan.
Montségur.
Forteresse du vide.
Château-temple surgi des hasards de la pierre
et de la démesure de ses bâtisseurs.
Il était là, le
pech de Montségur, cet immense rocher qui semblait suspendre l’édifice entre la
terre et le ciel, sanctuaire aux murailles déchiquetées, élevé à la gloire des
hérétiques.
L’ombre recouvrait peu à peu les vallées
entourant la montagne. Un sentier montait en lacets sur son versant ouest. La
pente, raide et découverte, était semée d’embûches. À tout instant, on pouvait craindre
l’éboulement, et l’on risquait d’être happé dans les gouffres qui cernaient le
sanctuaire. Le pic de Montségur était situé sur les terres du suzerain de Mirepoix ;
il était tenu par Raymond de Péreille, vassal des comtes de Foix, loin des
grandes routes, au cœur de ce pays dévoué à l’hérésie. Le château se perdait
dans les brumes,
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