L'Église de Satan
lueurs
sépulcrales, symbole de la révolte en marche, levant ses murs vers les nuages
lourds de menaces, où, sans doute, le Dieu muet que l’on se disputait en
Occitanie jetait sur ses pauvres créatures cet œil sévère, prélude aux grands
châtiments.
Escartille marchait, plantant son bâton
devant lui.
Il sentait que sa destinée l’avait toujours
promis à cette rencontre avec le château des damnés, des amoureux déçus, des
croyants pourchassés. Il pouvait deviner, à présent, tout ce que le sort avait
préparé pour lui. Il avait la certitude que là viendrait le moment le plus
important de sa vie ; celui où l’on ne pouvait plus fuir, où l’on ne
pouvait plus tricher. Oui : tout cela n’avait servi qu’à préparer cet
avènement.
Et il replantait son bâton devant lui, dans
une ascension interminable.
Bientôt, ils entendirent des sifflements.
En quelques secondes, jaillissant des buissons, quatre hommes furent auprès d’eux,
sortant leurs épées.
Ils reconnurent vite le ductor et s’échangèrent
l’accolade.
Les soldats accompagnèrent les nouveaux venus
jusqu’au faîte du pech escarpé.
Les frondaisons s’écartèrent, le château était
apparu dans la pénombre, masse sombre cernée de flambeaux. Ils passèrent sous
les portes ; Escartille leva les yeux en franchissant cette entrée
monumentale. Une indicible émotion s’empara de lui au moment précis où il en
franchit le seuil. Il laissa derrière lui tout vague à l’âme. Il lui faudrait à
présent affronter le dernier volet de ce combat. Le faucon cria encore. Il
tournoyait au-dessus du pic, en cercles de plus en plus amples.
Le castrum insensé était là, tout autour
d’eux. Ces ruelles, ces maisons tordues, collées en nids d’hirondelle contre la
muraille du château.
Montségur, Montségur en ses brumes et ses
fantômes, vision grandiose et douloureuse.
Un rêve et un cauchemar tout à la fois.
Bienvenue dans l’Église de Satan.
Bertrand Marty arriva à leur rencontre.
Parfait lui aussi, il était originaire de
Tarabel ; issu d’une famille modeste, il avait été élu diacre en 1230
avant de succéder à Guilhabert de Castres comme évêque cathare du Toulousain. Il
avait prêché en Lauragais, à Fanjeaux et à Laurac, mais aussi à Dun et à Limoux,
ainsi que dans de nombreuses autres villes et châteaux. En 1236, il avait
rejoint la communauté de Montségur, dont il était aujourd’hui le chef politique
et spirituel. Escartille le considéra quelques instants. C’était un homme âgé, grand
et sec ; de longs cheveux blancs encadraient son visage. Il portait une
robe noire, comme Escartille. Ses yeux étaient cernés de lourdes paupières. Des
rides couraient autour de ses lèvres. Sortant ainsi de l’obscurité, il avait l’air
d’une apparition, d’un spectre égaré au milieu des croyants qui circulaient
là-bas, dans la cour du château.
Sur ses talons arrivaient deux autres
personnages. Raymond de Péreille venait en tête ; c’était lui, le premier
seigneur du lieu, et l’un des chefs de la résistance cathare les plus
déterminés. Il avait longtemps entretenu des relations privilégiées avec
Guilhabert de Castres, Raymond VI, Trencavel et le comte de Foix. Aidé des
seigneurs de Niort et de nombreux chevaliers faidits, il avait rassemblé
avec eux des centaines de muids de blé pour faire vivre la communauté, et avait
transformé Montségur en véritable arsenal ; le château était devenu un
dépôt d’armes et de vivres de première importance. Les pèlerins cathares y avaient
apporté des lances, des armures, des arbalètes, des arcs, des contributions en
argent. C’était aussi à Raymond de Péreille que Montségur devait son statut de
lieu saint et de capitale de la foi hérétique. Chef de la colonie montségurienne,
Raymond résidait ici avec sa femme Corba et ses quatre enfants : Jourdain,
Arpaïx, Esclarmonde, qui était infirme, et la belle Philippa, aînée de ses
filles et épouse de Pierre-Roger de Mirepoix. Mais l’étendue de ses domaines ne
s’arrêtait pas à Montségur : Raymond était suzerain des châteaux de
Péreille, de Laroque d’Olmes, d’Alzen. Grand intendant de la cause, propriétaire
des lieux et maître de ses défenses, c’était un homme à l’allure sobre et
altière, large d’épaules, et dont le rude caractère se reflétait dans le
moindre de ses traits. Il était suivi par Pierre-Roger de Mirepoix, son
Weitere Kostenlose Bücher