Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
Vom Netzwerk:
tendit l’oreille. Des milliers
de paires d’yeux regardaient maintenant ces battants de bois comme le couvercle
d’un tombeau ; des milliers de poitrines exhalaient leurs faibles soupirs,
haletantes, prêtes à recevoir le coup de poignard final.
    Un coup violent venait d’être frappé contre
les portes.
    Escartille vit une nuée de parfaites se
relever dans des froissements de robe.
    Au-dessus d’elles, les statues de saints
semblaient les regarder, l’index tendu, les tables de la Loi serrées contre
leur majestueux drapé. Un Christ douloureux les toisait depuis les hauteurs
frappées de pénombre. De part et d’autre de l’église, quelques vitraux
échangeaient l’éclat terni de leurs tristes allégories.
    Tout près de l’autel, un jeune garçon s’avança.
Il n’avait pas quinze ans. Il était grand, avec une chevelure noire, très
maigre, imberbe. Il avait revêtu une aube blanche, qui faisait l’effet d’un
suaire. Son visage était pâle comme la mort. Il s’éclaircit la gorge puis, d’une
voix brisée, commença à chanter.
    Non nobis Domine, sed nomini tuo da gloriam.
    La population désemparée se tourna vers lui.
    La voix du jeune garçon s’étrangla. On regarda
en direction des portes, qui venaient de trembler de nouveau. Il était
singulier de voir tout à coup ces crânes luisants, qui pivotaient d’un côté, puis
de l’autre, de l’entrée de l’église à la figure livide de cet adolescent. Celui-ci,
les mains tendues, debout auprès des prêtres, continuait de chanter malgré son
trouble. Les cathares se frayèrent un chemin pour le rejoindre. Comment décrire
cette scène si folle ? Le garçon chantait, sa voix cristalline prenait de
l’assurance ; à mesure que le danger se précisait, elle emplissait l’église,
dernière brise de douceur. Un prêtre remit au jeune homme un tabernacle doré, couronné
d’un soleil qui dardait autour de lui ses rayons lumineux. Il le dressa
lentement au-dessus de sa tête. Escartille cligna des yeux ; l’adolescent
entouré de clercs, catholiques et cathares mêlés, avait l’air d’une apparition,
nimbée de volutes d’encens qui dévoilaient par intermittence la flamme d’une
veilleuse rouge.
    Les coups se firent plus insistants. Les
portes commençaient à céder.
    Tandis qu’autour d’Escartille, les croyants
reprenaient peu à peu le chant qui enflait dans l’église, le troubadour se
décida à agir. Il se fraya de nouveau un chemin au milieu de l’assemblée ;
contrairement à ce qu’il attendait, il ne rencontra pas de grande résistance ni
de protestations. L’horreur et le désespoir laissaient place à cette extase
terrible qui n’est autre que la sœur du martyre.
    — Au nom du Seigneur, Jésus-Christ !
entendit-il distinctement depuis l’extérieur, tandis qu’il s’efforçait de
contourner l’autel.
    Des vitraux se brisèrent des deux côtés de l’église,
dans des éclats de plomb.
    Non no bis Domine…
    Des pierres et des flèches incandescentes
tombaient en pluie dans la cathédrale.
    Escartille se précipita, au milieu de nouveaux
remous. Pourtant, la population, mue par un élan ultime de solidarité, refusait
de céder à un autre élan de panique. Elle savait désormais stérile toute
volonté de fuir et, résignée, n’attendait plus que la fin de ce chaos. Dieu, comme
la nature humaine est insolite et insaisissable ! À présent, auprès du
troubadour, on priait, les yeux fermés, accueillant la mort qui venait frapper
au hasard parmi les rangs des réfugiés. Les flèches se multipliaient. Derrière
l’autel, les tentures rouges s’enflammèrent, et ce nouveau brasier vint
rejoindre celui de la cité tout entière. Escartille bouscula une femme, faillit
trébucher sur une autre. Il leva les yeux à temps pour voir avec effroi
basculer le grand crucifix qui dominait l’autel. Il crut un moment qu’il allait
être écrasé. L’ombre de la croix le recouvrit d’un coup. Il aurait pu périr en
cet instant, de la manière la plus absurde qui soit, assassiné par l’image du
Rédempteur. Il l’évita de justesse. Le crucifix tomba sur le sol dans un nuage
de poussière.
    Le Fils de l’Homme était là, démembré, un bout
de bras clouté gisant à côté de lui.
    Escartille fut bientôt devant la sacristie ;
il ouvrit la porte à la volée. D’autres y avaient pensé avant lui : de
bonnes gens se tenaient là, lovés les uns contre les autres, horde de laies

Weitere Kostenlose Bücher