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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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ne
pleurait pas, malgré toute cette agitation. Il ouvrait et fermait les yeux, ballotté
comme un fétu de paille, des boucles de cheveux s’échappant de son capuchon. Il
était le seul à offrir encore le spectacle de l’innocence et de la pureté au
milieu de cette tragédie. On allumait des cierges, on récitait des psaumes, des
chants naissaient ici et là, puis disparaissaient dans la cacophonie ambiante, pour
laisser place à de nouveaux cris. Les pères hissaient leur progéniture sur les
épaules. Certains perdaient définitivement la tête et laissaient libre cours à
leur hystérie, brandissant leur bible à bout de bras ; d’autres, qui
avaient eu le malheur de trébucher, étaient piétinés si une main généreuse ne
les aidait pas à se relever. Ils se redressaient alors, vacillants, roulant des
yeux hébétés, comme ailleurs ; pour ne pas tomber de nouveau, ils se
raccrochaient à qui voulait les retenir, tuméfiés, frémissants.
    Dans ce désordre, Escartille fut soudain
séparé de Robert de Bayle et d’Églantine.
    Il se débattit, essaya de jouer des coudes, mais
déjà, la foule se dressait entre eux.
    — Églantine, cria-t-il, Églantine !
    Elle disparaissait. Le troubadour aperçut la
main de Robert avant que le flot ne les submerge, jusqu’à plaquer le troubadour
de l’autre côté du transept.
    Essayant de les rejoindre malgré tout, il
tomba tout à coup sur un vieillard à la barbe grise, une calotte noire sur la
tête. Escartille reconnut le juif qu’il avait aperçu la veille, dans l’auberge.
Il vociférait, tantôt en hébreu, tantôt en occitan, apostrophant le Dieu de
Salomon, d’Isaac et de Jacob. Il clamait qu’il avait dû, sa vie durant, feindre
sa conversion au catholicisme ; au seuil de la mort, dans cette ville où
il avait pu enfin trouver refuge, il tombait le masque, les mains tendues, le
visage ravagé de larmes ; le nom de sa femme, sans doute disparue quelque
temps plus tôt, revenait sans cesse dans sa bouche ; il désespérait de
mourir seul et en ces circonstances. Tout à coup, il referma sur le bras d’Escartille
ses doigts rendus vigoureux par la terreur.
    — Qu’ai-je fait pour mériter cela ? Regarde-moi,
mon fils, regarde-moi ! Va trouver Rachel, va trouver ta mère. Dis-lui que
je l’aime, dis-lui que je vais la rejoindre !
    Le troubadour se débarrassa tant bien que mal
de son étreinte et fit quelques pas de côté.
    Du moment où il avait pénétré dans la
cathédrale, il savait qu’il avait fait une erreur, et que s’emmurer ainsi était
la chose la plus sotte qu’il ait accomplie.
    Au même instant, de grands cris résonnèrent
depuis la nef.
    Ils semblèrent gagner l’assemblée comme une
vague, en remontant le cours jusqu’à l’entrée.
    — Fermez les portes ! Fermez les
portes ! hurlait-on.
    Escartille se retourna et se dressa sur la
pointe des pieds.
    Entre deux bagarres, quelques hommes se
ruaient vers les lourds battants de l’église pour les refermer, les tirant dans
les craquements les plus abominables.
    — Asile, asile ! vociférait l’un d’eux
d’un ton absurde.
    D’autres habitants essayaient encore d’entrer
pour ne pas tomber aux mains des croisés.
    De son côté, Escartille continuait de chercher
des yeux l’aubergiste et sa femme. Rien à faire : ils étaient
définitivement inaccessibles. Il ne les voyait nulle part. Seul ! Cette
fois, il était plus que jamais seul. Affligé d’une terreur mortelle, le visage
blême, il continua de regarder autour de lui.
    C’est impossible. Dites-moi que c’est
impossible.
    Les portes se refermaient sur la population, qui
tenta de les condamner définitivement pour empêcher l’ennemi de les franchir. La
lumière du jour s’était enfuie. On alluma des cierges dans tous les coins de l’église.
    Le bruit que firent les deux battants en se
refermant produisit sur l’assemblée un effet étrange. Comme si cette nouvelle
claustration achevait de résigner les habitants à ce cruel abandon où ils se
trouvaient maintenant plongés, ils baissèrent les bras, cessèrent de bouger et
se turent progressivement.
    Ils entendirent la dernière exclamation d’un
agonisant, qui venait d’être pourfendu au-dehors. Le pauvre bougre glissait
contre le chambranle des portes.
    Il mourut au pied du refuge qu’on lui avait
refusé.
    Il n’y eut bientôt plus qu’un silence mortel, uniquement
troublé par les pleurs des enfants.
    Puis, plus rien.
    La foule

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