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L'Église de Satan

L'Église de Satan

Titel: L'Église de Satan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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homme, un œil
terrible, qui se révulsait. Et le mourant lâcha dans un souffle :
    —  Promettez-moi que vous la sauverez… que
vous sauverez… l’Occitanie !
    La main retomba, d’un coup, tandis que l’homme
expirait.
    Escartille se redressa, puis recula, la gorge
nouée.
    Non loin, il aperçut sans mal l’endroit où
était mort l’adolescent qui s’était mis à chanter, quelques minutes avant la
fin. Le tabernacle gisait à côté de lui.
    Tuez-les tous.
    Le troubadour tomba à genoux, sans pouvoir s’arrêter
de sangloter, osant à peine croire aux images qu’il avait sous les yeux. Au-dessus
de lui, une partie de la toiture s’était effondrée. Il pouvait distinguer le
ciel, un ciel de juillet, limpide, muet.
    Il se saisit du corps brûlé de l’adolescent. Avec
une grande prudence, il se dirigea vers la sortie.
    De temps en temps, quelques rares survivants
en haillons apparaissaient au détour d’un mur encore debout. Ils marchaient
comme des fantômes, traînant des pieds, les épaules voûtées, l’air hagard. Ils
le regardaient, lui qui marchait comme eux au milieu de cette désolation et qui
ne valait guère mieux, avec sa tunique déchirée, ses contusions diverses, ses
genoux sanglants, sa face couverte de suie. Escartille retourna dans le cellier,
vida un sac de farine et se confectionna un nouveau berceau, qu’il mit sur ses
épaules. Puis il retourna au-dehors, emportant avec lui son fils et le corps de
l’adolescent. Autour d’eux, le vent brassait les bouffées pestilentielles de la
décomposition, les enseignes grinçaient au-dessus des maisons démolies, au
milieu des chariots renversés. C’était tout ce qui restait de Béziers, à l’intérieur
de ses remparts à moitié détruits. Où étaient passés les bruits et les couleurs
du marché, les bourgeoises souriantes au bras de leurs chevaliers, les rires
jaillis des tavernes, les gamins jouant au palet dans les ruelles ? Il n’y
avait pas que l’église-cathédrale à avoir été le théâtre des massacres et des
incendies ; la grande église de la Madeleine, l’église de Saint-Jude
avaient subi le même sort.
    Ils l’ont fait, pensa-t-il
avec horreur. Trencavel n’a pu venir à temps.
    Ils l’ont fait, ils ont massacré une ville
entière ! Ils ont…
    Ils ont commencé leur guerre sainte !
    Sur les remparts, il lui fallut attendre
le départ des derniers croisés, qui pliaient leurs tentes dans les prés. Sergents
et chevaliers, grands seigneurs et hordes de routiers, les dizaines de milliers
d’hommes s’en furent avec leurs machines de guerre, catapultes, tours et
trébuchets, avant de former cette colonne infinie qui disparut bientôt vers l’horizon,
dans des nuages de poussière, les enseignes hautes et déployées. Le légat de
Cîteaux, le comte de Nevers et toute la noblesse de l’ost avaient fait leur
office. Ils marchaient vers de nouveaux combats, ne laissant derrière eux que
des ruines.
    Raymond VI, comte de Toulouse, repartait
lui aussi, hanté désormais par l’horreur de ces journées, et par la honte de n’avoir
rien fait.
    Il passa la main sur son visage.
    Je fais le serment de rendre à l’Occitanie
la paix qu’elle mérite ! J’en fais le serment, je n’aurai de répit avant d’avoir
atteint ce but !
    À la nuit tombante, Escartille grimpa sur
une colline voisine, d’où il pouvait contempler la ville dévastée et les
volutes de fumée montant vers le ciel. À l’ombre d’un noisetier, tandis que le
soleil se couchait, il enterra le jeune adolescent, se souvenant du timbre si
pur de sa voix.
    C’étaient Églantine, et Robert, et tous ces
pauvres gens qu’il enterrait en cet instant.
    Il hésita à mettre une croix sur cette tombe.
    Dieu reconnaîtra les siens.
    Il planta deux bâtons de bois, accrochés
ensemble, qui formaient un crucifix.
    Dieu reconnaîtra les siens.
    Avec une moue de dégoût, il donna un coup de
pied.
    La croix tomba sur le sol.
    Le troubadour s’assit lourdement. Il
chanta pour son fils, qu’il continuait de nourrir comme il le pouvait, avec les
maigres provisions qu’il était parvenu à réunir dans l’enceinte de la ville.
    Si ta mère nous voyait ! pensa-t-il avec un faible sourire.
    Il porta Aimery contre son cœur, pour mieux
sentir cette vie palpitante.
    À peine revenu de cette horreur qu’il avait
encore du mal à admettre, il comprit que cette guerre serait longue, qu’elle n’aurait
rien d’ordinaire. Ainsi, l’homme était

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