L'Enfant-Roi
justement, la voici, dis-je tout à trac. Et je
lui débitai à haute voix et le plus rapidement que je pus la phrase qu’un instant
avant son entrée dans le cabinet des livres, j’avais parcourue des yeux. Elle
était fort longue et si savamment construite que je sentis bien que le latin de
Blainville n’était pas suffisant pour se hausser jusqu’à elle.
Comme bien j’y comptais, il se vergogna à me demander de la
traduire et, après quelques compliments courtois, notre limier se retira,
l’oreille basse.
Je demeurai après son départ l’ouïe en alerte, le livre
d’Érasme entrouvert sur les genoux, mais sans le lire et craignant un retour
inopiné de Blainville et de ses reniflements. Puis au bout d’un moment, me
levant et gagnant la porte à pas de loup, je l’entrouvris, glissai un œil dans
la galerie, laquelle était déserte. Je refermai l’huis derrière moi et cette
fois, je le verrouillai. Puis allant quérir les Essais de Montaigne, je
glissai ma relation à la première page du chapitre XIII, remis le livre
sur son rayon, l’Érasme sur le sien et fus hors en un battement de cil. Mais je
regagnai, songeur, les appartements du roi, l’irruption de Blainville me
donnant fort à penser. J’avais trompé le nez de ce chien, mais d’où venait que
son nez m’eût suivi jusque-là ? Je conclus que le bouton de mon pourpoint
hors de sa boutonnière lui avait, se peut, donné l’éveil et je pris bonne note
de convenir avec Déagéant d’un autre signal à proposer au roi.
*
* *
L’archevêque de Bourges, que Condé avait employé comme son
vas-y dire pour informer Conchine qu’il n’était « plus son ami »,
n’avait dans sa vie qu’une ambition : il désirait ardemment que de violette
sa robe devînt pourpre, et que son front s’ornât de ce couvre-chef dont les
immenses bords feraient à ses épaules étroites une ombre majestueuse. Raison
pour laquelle il complotait le jour avec le prince de Condé et les Grands et,
la nuit venue, entrant au Louvre par une porte secrète, il contait leurs
complots à Barbin et à la reine-mère. L’archevêque se couvrait des deux côtés
et calculait ainsi que quelle que pût être l’issue de la révolte des princes,
il aurait droit à la gratitude du vainqueur, à son intercession auprès du
Saint-Père, et au chapeau cardinalice.
Les princes se réjouirent fort de la fuite de Conchine hors
Paris. Le favori quittait la place à Condé. C’est donc que Condé était
vainqueur. S’ils avaient eu une once de bon sens dans leur légère cervelle, ils
auraient compris que jamais le pouvoir de Condé n’avait été si précaire. Car la
Conchine, elle, demeurait à Paris. Elle tenait lors Monsieur le Prince pour son
plus mortel ennemi et elle avait plus que jamais l’oreille de sa maîtresse.
Dans leur outrecuidance, Condé et les princes complotaient
sans la moindre gêne et vergogne, et comme étant déjà assurés de la victoire.
Ils tâchaient de gagner à leur cause les colonels et capitaines des quartiers,
sollicitaient les curés pour qu’ils prêchassent contre le roi, pressaient le
Parlement de convoquer les ducs, pairs et officiers de la couronne pour décider
s’il ne fallait pas mettre le gouvernement de l’État dans d’autres mains que
celles de la reine-mère. Toutes ces menées étaient faites sans qu’ils s’en
cachassent le moindre et ils les faisaient suivre de festins joyeux où le cri
de ralliement était : Barre à bas ! Cela voulait dire que les
armoiries des princes, s’ils triomphaient du gouvernement royal, recevraient le
privilège dont seules les armoiries du roi jusque-là pouvaient se
prévaloir : n’avoir point de barre qui les traversât. En fait, ce « Barre
à bas ! » les trahissait. Car bien loin de travailler, comme ils
le prétendaient, à la restauration du pouvoir royal, ils aspiraient à rétablir
un État féodal dans lequel chacun d’eux eût été un petit roi dans sa propre
province, tâchant d’étendre ses frontières aux dépens de ses voisins, levant
des troupes, et qui sait même ? frappant sa propre monnaie… On se souvient
que le duc de Longueville avait caressé ce projet, et que mon petit roi, qui
n’avait alors pas même dix ans, l’avait vivement rebuffé de cette prétention.
Conchine s’était enfui de Paris le quinze août et la
Conchine n’eut pas besoin de plus de quinze jours pour décider la reine-mère à
arrêter Condé et à le serrer
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