L'ennemi de Dieu
Conseil du Roi en Bretagne et Morgane
aurait bien pu devenir la première, mais Guenièvre veilla qu’il n’en fût rien.
Il n’était pas question qu’elle laissât ce titre à une femme, si elle-même ne
pouvait l’obtenir ; qui plus est, elle détestait tout ce qui était laid,
et les Dieux savent si la pauvre Morgane était grotesque, même avec son masque
d’or ! Morgane resta donc à Ynys Wydryn, tandis que Guenièvre supervisa la
construction du nouveau palais à Lindinis.
C’était un
palais somptueux. L’ancienne villa romaine que Gundleus avait brûlée fut
reconstruite et agrandie, si bien que ses ailes cloîtrées enfermaient deux
grandes cours où l’eau coulait dans le marbre. Proche de la colline royale de
Caer Cadarn, Lindinis devait être la nouvelle capitale de la Dumnonie, même si
Guenièvre interdit que Mordred, avec son pied gauche déformé, pût en approcher.
Seuls avaient droit de cité à Lindinis les gens beaux, et dans les cours
bordées d’arcades Guenièvre rassembla des statues des villas et des sanctuaires
de toute la Dumnonie. Il n’y avait pas là de sanctuaire chrétien, mais Guenièvre
aménagea une grande salle obscure pour Isis, la Déesse des femmes, ainsi qu’une
somptueuse suite pour Lancelot, quand il viendrait en visite depuis son nouveau
royaume de Silurie. Elaine, la mère de Lancelot, y logeait ; et elle qui
avait jadis fait d’Ynys Trebes une si belle ville, elle aida Guenièvre à faire
du palais de Lindinis un véritable écrin.
Arthur, je le
sais, était rarement à Lindinis. Il était trop occupé à préparer la guerre
contre les Saxons. À cette fin, il commença par refortifier les anciennes
citadelles de terre du sud. Même Caer Cadarn, au cœur de notre pays, vit ses
murs renforcés et ses remparts pourvus de nouvelles plates-formes de bois pour
la bataille ; mais son plus gros ouvrage fut à Caer Ambra, à juste une
demi-heure de marche des Pierres, qui devait être sa nouvelle base contre les
Saïs. Les anciens y avaient dressé un fort, mais tout au long de l’automne et
de l’hiver les esclaves trimèrent pour rendre les anciens murs de pierre encore
plus escarpés et installer au sommet des palissades et de nouvelles
plates-formes. D’autres forts furent consolidés au sud de Caer Ambra afin de
défendre les régions inférieures de la Dumnonie contre les Saxons du sud menés
par Cerdic, qui ne manqueraient pas de nous attaquer quand Arthur lancerait ses
hommes contre Aelle. Depuis les Romains, j’ose le dire, jamais on n’avait
autant creusé la terre bretonne ni fendu autant de bois, et jamais les honnêtes
taxes d’Arthur ne pourraient payer la moitié de ces travaux. Il leva donc un
impôt sur les églises prospères et puissantes du sud de la Bretagne – sur
ces mêmes églises qui avaient soutenu Nabur et Sansum dans leurs efforts pour
le renverser. Cet impôt fut finalement remboursé, et il protégea les chrétiens
des effroyables attentions des païens saxons, mais les chrétiens ne
pardonnèrent jamais à Arthur, pas plus qu’ils ne voulurent voir que le même
impôt était levé sur les rares sanctuaires païens qui possédaient encore
quelque richesse.
Mais tous les
chrétiens n’étaient pas les ennemis d’Arthur. Un tiers au moins de ses lanciers
étaient chrétiens, et ces hommes étaient aussi loyaux que n’importe quel païen.
Maints autres chrétiens approuvaient son gouvernement, mais la grande majorité
des chefs de l’Église laissaient leur cupidité dicter leur loyauté et
comptaient parmi ses adversaires. Ils croyaient que leur Dieu reviendrait un
jour sur cette terre et marcherait parmi nous comme un mortel, mais Il ne
viendrait pas avant que tous les païens ne fussent convertis à Sa foi. Sachant
qu’Arthur était païen, les prêcheurs l’accablaient de malédictions, mais Arthur
feignait d’ignorer leurs paroles tout en parcourant sans relâche la Bretagne
méridionale. Un jour, il était avec Sagramor sur la frontière d’Aelle, le
lendemain il combattait l’une des bandes de Cerdic qui s’était aventurée dans
les vallées du sud, puis il remontait vers le nord, traversant la Dumnonie et
passant par le Gwent à destination d’Isca afin d’y discuter avec les chefs
locaux du nombre de lanciers qu’on pouvait lever au Gwent, à l’ouest, ou en
Silurie, à l’est. Grâce à Lugg Vale, Arthur était désormais bien plus que le
premier seigneur de Dumnonie et protecteur de Mordred : il
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