L'enquête russe
pourchasser les braconniers qui n’ont que trop tendance à piller le gibier, si abondant à Chantilly. Vers deux heures et demie, ils ont entendu un grand cri et, étant peu éloignés, se sont précipités, et ont trouvé le corps de la fille. Après une courte battue, ils ont fini par débusquer le coupable qui s’est aussitôt enfui. Il y a eu des sommations. Vu la direction prise, ils craignaient qu’il ne se réfugiât au château.
— Au château !
— C’est vous dire si chacun frémissait à la pensée qu’il pût s’agir d’un invité de monsieur le prince de Condé. Imaginez le scandale ! Ils ont visé les jambes… Dans l’obscurité, le tir ne pouvait qu’être incertain et, de fait, il a pris la volée de plombs en plein dos. Quand ils l’ont rejoint, il était mort. Affolés, ils sont venus me chercher. C’est pourquoi, monsieur, j’ai cru de mon devoir de vous faire rapport sur-le-champ.
— Et tu as décidé de m’éveiller. Et, ce faisant, tu as parfaitement agi, avec une promptitude des plus méritoires. Reste que l’homme a été tiré comme du gibier ? On ne pouvait pas le saisir ?
Magnier, penaud, baissait la tête.
— Je n’y étais point et ne peux vous rapporter que ce qui m’a été affirmé.
— Je ne t’en veux pas, tu as eu raison et, dans ces circonstances, c’était la seule chose à faire. Comment se présente-t-il, cet assassin ?
— Oh ! Pour le peu que j’en ai vu, un étranger vêtu de curieuse manière. Hirsute et barbu, cela m’afrappé. Pourpoint sur pantalons à la turque… Et des bottes. Si vous m’en croyez, c’est quelqu’un de la suite des barbares du Nord.
La description cavalière de Magnier frappa Nicolas. Le portrait qui venait d’être dressé lui rappelait celui de Dimitri, le secrétaire du prince Paul. Il se mit à réfléchir sur la situation présente. La principale priorité consistait à éviter un scandale public qui risquerait de troubler la visite chez les Condé. Il en tenait du simple bon sens.
— Qui est au courant de la chose ?
— Les gardes qui ont tiré, et moi.
— Penses-tu pouvoir leur faire tenir le secret ?
— Je le crois. Quand ils ont vu le corps, ils sont tous tombés dans une grande affliction et inquiétude d’avoir tué un invité de Son Altesse sérénissime.
Nicolas forlongeait sa réflexion.
— Je t’accompagne pour voir les corps et les lieux. Ensuite tu les fais discrètement enlever et conduire à la basse-geôle. Je te donnerai un mot pour l’inspecteur Bourdeau. Pour les gardes, tu les convaincs, ne pleure pas quelques louis…
Il lui tendit une poignée de pièces tirées de son portemanteau.
— … Assure-les qu’ils sont sous la protection du roi et ne courent aucun risque dans cette affaire. Si on les interroge, qu’ils rendent compte d’avoir surpris des braconniers et de les avoir fait fuir en tirant d’abord en l’air. Quant à moi, je dois, hélas, demeurer avec le grand-duc jusqu’à la fin de la visite. J’espère que l’absence du secrétaire du prince, si toutefois il s’agit bien de lui, ne se fera pas sentir dans l’agitation d’un programme aussi chargé. Pour la suite, à Paris, je me chargerai d’informer qui dedroit. Je vais te faire un mot pour Bourdeau sans attendre.
Il s’assit devant un petit bureau dans lequel tout était agencé pour écrire, plume, papier, encre, sable et un pain de cire à cacheter. Il résuma la situation à Bourdeau, lui demandant d’informer Le Noir, que les précautions fussent bordées pour prévenir tout événement.
Nicolas suivit ensuite Magnier jusqu’à l’endroit où gisait l’assassin. Il le retourna et reconnut en effet Dimitri, le secrétaire de Paul. Il fouilla les hardes du mort sans rien trouver d’autre que des formules en russe écrites sur des bouts de papier qu’il recueillit soigneusement. Point d’arme. Il s’approcha des gardes à qui Magnier venait d’expliquer la conduite à tenir. Il leur demanda si l’un d’eux avait trouvé l’arme dont avait usé l’assassin. Ils n’y avaient point songé tant précipité avait été le déroulement des événements et rapide la traque qui s’était ensuivie. Magnier les entraîna tous vers l’endroit où se trouvait la victime. Nicolas découvrit un pauvre corps disloqué, au visage chiffonné d’enfant. Les blessures qui lui avaient été infligées étaient effroyables et semblables à celles relevées sur les victimes du
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