L'enquête russe
prudent, conclut Noblecourt. J’appréhende pour vous les suites de cette affaire dont les tenants ne correspondent pas aux aboutissants.
Il cligna d’un œil.
— Merci de m’avoir distrait… J’ai observé que vous-même…
Nicolas se retirait quand il fut rappelé.
— Pour votre autre enquête, une coïncidence me frappe. Pourquoi un Russe ?
— Il est à Paris pour faire sa cour au tsarévitch Paul.
— Bon, et c’est alors qu’on le tue ! Mais quand l’arbre tombe, le caillou roule. Bonne nuit, Nicolas.
Sur cette sibylline remarque qui le laissa perplexe, Nicolas monta se coucher.
Jeudi 23 mai 1782
Au petit matin, il rejoignit Louis qui, debout devant sa table de toilette, se rasait. Ému, il considéra un moment cette scène qui signifiait si bien le temps écoulé et l’enfant devenu homme. Après quelques commentaires sur la soirée, le fils interrogea le père sur Antoinette. Des lettres parvenaient de Londres d’une manière irrégulière, relatant son existence alors que le royaume et l’Angleterre restaient en guerre. Tout en soulignant avec chaleur la tâche qu’elle poursuivait, si utile et même essentielle pour le service du roi, il écartait toute remarque qui aurait pu faire soupçonner au fils les périls au milieu desquels naviguait sa mère.
Nicolas, en discrétion, ne manqua pas de renouveler au jeune homme les conseils déjà prodigués au moment de son départ pour Saumur. Il le miten garde contre des situations fâcheuses où l’honneur impliqué conduisait de manière fatale à des rencontres inévitables. Il ajouta, faussement jovial, qu’outre l’inconvénient mineur d’être tué, il risquait d’en sortir estropié et, surtout, de déplaire au roi en enfreignant les édits sur les duels.
Soudain rajeuni, Louis baissa la tête sous l’affectueuse algarade et promit à son père de prendre garde et de conserver en mémoire les conseils qu’il avait un temps négligés. Pour adoucir l’impression de cette admonestation, Nicolas remit à son fils le portefeuille à secret et les paires de gants pour faire des armes. L’enthousiasme du garçon émut le père ; par certains côtés Louis était encore un enfant.
Enfin, en prévision du bal offert en l’honneur du comte et de la comtesse du Nord, il le mit au courant de la situation à la cour. La naissance du dauphin avait renforcé l’influence de la reine, chaque jour davantage maîtresse des grâces et des faveurs. Il n’était pas jusqu’à M. de Vergennes qu’elle eût voulu éloigner, tout son système contrariant les vues ambitieuses de la cour de Vienne. Mais sur ce point elle avait trouvé le roi ferme dans ses affections pour ce ministre. Là aussi, il convenait de demeurer dans l’expectative, prudent, et surtout de ne point offrir carrière à des jalousies en prenant part à des intrigues ou des cabales si foisonnantes dans ce pays-cy . Pour brocher le tout, Nicolas proposa à Louis de l’accompagner, dès que l’enquête en cours lui laisserait un moment, chez maître Vachon, leur tailleur, pour paraître dignement aux fêtes de Versailles comme il seyait à des Ranreuil.
Il se rendit compte aussitôt qu’il les eût prononcés que ces mots dépassaient sa pensée. Cet accès d’orgueil de leur nom ne correspondait pas à ce qu’iléprouvait au fond de lui-même. Certes le temps avait quelque peu modifié la fière attitude du jeune Le Floch refusant au feu roi son titre de marquis. Les années avaient passé, entraînant des compromis avec cette première posture, pour sincère qu’elle était. Et surtout il ne pouvait pas compromettre l’état, la position et la carrière du vicomte de Tréhiguier pour satisfaire ses propres réticences. Il se reprocha encore une fois cette façon de se mettre en accusation devant son propre tribunal sans que rien vraiment ne justifiât cette intime inquisition.
Il quitta son fils qui allait flâner dans Paris, profitant de ce beau printemps, et descendit à l’office où il trouva Bourdeau buvant un chocolat et devisant avec Catherine.
— Pierre, quelle bonne surprise ! De si bon matin.
— Je crois que ce que je vais t’apprendre ne sera pas de nature à te complaire.
— Hé ! Quoi donc ?
— On a retrouvé dans le filet de Saint-Cloud le corps d’Harmand, commis de l’hôtel de la rue de Richelieu !
V
RICOCHETS
« Veux-tu que je déchire la toile fatale dont la Parque ourdit la trame ? »
Shakespeare
Cette
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