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L'enquête russe

L'enquête russe

Titel: L'enquête russe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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participants. L’amiral ne tarissait pas d’éloges à votre égard.
    — Peu m’importe. Tout cela aura une fin. La sagesse est de se dire que c’est sans doute la dernière fois que je réunis mes amis.
    — Oh ! Que je n’aime pas ce ton-là ! Trop d’Irancy, trop de truffes, trop d’animation et l’animal est triste. Reprenez-vous ! Tout cela peut augurer une crise de celle qu’on ne nomme pas.
    — Vous avez raison, mais j’ai du vague dans le cœur. Et le vague, c’est du trop-plein et le trop-plein crée le vide.
    — Allons, point de talapoin ce soir, point de tao . Une nuit sereine après une soirée parfaite.
    — Vous en parlez à votre aise. Considérez mes livres. Vous les connaissez, vous en avez souvent usé. Comme moi, vous les aimez comme des personnes. Ils me sont si familiers qu’au toucher seul je les pourrais reconnaître. Leur odeur même à chacun m’est familière. Et puis, eux, ils sont immortels et assurés de leur éternité. Ils continueront à vivre,glissant de main en main, immuables et sereins, transmettant le savoir et la sagesse. Immortels, oui, car qui pourrait envisager de détruire un livre ? Sauf l’Inquisition… Ils seront toujours là quand nous n’y serons plus. Jadis je les acquérais avec le sentiment, non seulement d’une possession, mais encore d’une assurance contre la mort. Aujourd’hui mon amour pour eux n’a pas varié, mais j’éprouve chaque jour davantage la vanité de cet attachement et l’inanité de cette sauvegarde. Comme une poignée de sable tout soudain s’échappe de ma main. Tant d’ardeur consacrée à la vie, alors qu’au bout du compte on s’interroge si l’on n’a pas perdu sa peine !
    — Vraiment, je ne goûte guère cette pente où vous glissez.
    — Vous apprendrez, Nicolas, comme le disait notre Montaigne, qu’il ne se voit point d’âmes, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent à l’aigre ou au moisi.
    — Je connais, dit Nicolas riant, des exceptions qui savent trousser gaillardement le bout-rimé !
    Cela tira un pauvre sourire à Noblecourt qui s’assit, invitant par là même son visiteur à faire de même. Mouchette, folâtre, sauta sur le fauteuil, se percha sur le dossier et, aguichée par les lueurs qui dansaient sur le crâne ivoirin du vieux magistrat, se mit à le tambouriner de ses petites pattes, avant que de frotter amoureusement sa tête contre l’oreille de sa victime.
    — Voyez comme la chatte vous aime et cherche à vous distraire.
    Nicolas sentit que le moment exigeait de fixer l’esprit de son vieil ami, de l’attirer sur un autre terrain qui lui fasse oublier cet accès de mélancolie. Il le mit au courant, en exagérant le pittoresque durécit, de l’enquête en cours. Il évoqua aussi, comme s’il se parlait à lui-même car Noblecourt était une tombe, les préparatifs de l’opération voulue par Vergennes et Sartine.
    Le vieux procureur, après avoir longuement médité, s’attacha avec clarté à établir les avantages et les inconvénients d’une opération dont on pouvait accepter la nécessité, tout en déplorant les moyens utilisés.
    — Vous avez, mon ami, depuis plus de vingt ans, été associé à bien des affaires secrètes où les intérêts du trône et de l’État exigeaient de faire la balance, sans excès d’angélisme, entre des choix difficiles. Sur ce coup-là, illicite à coup sûr, je vous sens incertain et troublé. Soit que les conditions de cette action vous déplaisent et agissent sur votre tempérament, soit que votre intuition, qui si souvent vous a tracé la voie, éprouve confusément la crainte des suites de quelque chose que vous n’avez ni voulu ni même pensé.
    — Cela est vrai que depuis les commencements j’éprouve des doutes sur les instructions que je suis chargé de mettre en œuvre.
    — Vous en êtes-vous ouvert à Sartine ?
    — Certes ! Mais vous le connaissez, trop heureux d’être à nouveau aux affaires, même secrètes. Les a-t-il jamais quittées d’ailleurs ? Il écoute sans entendre et ne veut que le but sans consentir vraiment à s’intéresser aux détails. La cuisine, comme il a coutume de le dire, ne le retient pas et la raison d’État l’emporte sur les objections raisonnables et toutes autres considérations. Ce prétexte-là se donne de beaux privilèges, tout ce qui lui paraît utile devient légitime et tout ce qui est nécessaire honnête, pourvu qu’on aboutisse.
    — Soyez

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