L'enquête russe
Berlotte.
— Une ancienne ? De quel âge ?
— Je ne sais trop. On connaît à Paris les ressources pour corriger les ravages du temps. Ainsi l’emprunt d’un visage arrangé, je suis bien placé pour le savoir, est chose si commune que peu de femmes peuvent se vanter d’en avoir eu à elles !
— Encore un point, dit Bourdeau, riant de la pointe. Votre ami jouait beaucoup. Comment conciliait-il cela avec son travail rue de Richelieu ?
— À partir d’une certaine heure, il quittait l’hôtel et revenait à l’aube après avoir joué la moitié de la nuit. Il se faisait remplacer, au risque que M. Lachère évente le subterfuge.
Ils remercièrent le garçon qui s’envola, ayant remarqué que M. Harmand venait de surgir devant sa boutique et le cherchait. Ils remontèrent en voiture.
— Tout cela est bel et bon, mais ne simplifie pas notre enquête. Voilà un godelureau qui s’avère, à beaucoup d’égards, un poupard bien inquiétant. Et d’où vient cet argent ? Mais que fais-tu ?
Bourdeau venait de répandre les louis sur ses genoux. Il en avait saisi un, qu’il mordit. Puis il sortir un canif, entailla et gratta une des pièces.
— Peste, il nous reste à consulter un orfèvre et sa pierre à essai, mais si tu veux mon avis, ces louis sont faux. Un alliage couvert d’une fine couche dorée qui n’est peut-être même pas de l’or !
— De deux choses l’une, ou bien nous sommes tombés sur une affaire de fausse monnaie, ou bien notre commis s’est fait jouer, et dans d’intrigantes conditions.
— A-t-on trouvé autre chose sur le cadavre de Richard Harmand lors de l’ouverture ?
— Absolument rien, pas même un mouchoir.
— Cela est curieux. Les poches vides sont rares… Ou alors… Aurait-il été surpris dévêtu ?
— Et habillé derechef pour son exécution, enfin sa noyade simulée ?
— Pas simulée, il avait les mains et les pieds liés ainsi qu’un bâillon.
— Alors, c’est qu’on l’a transporté… Dans une voiture… On ne voulait pas attirer l’attention.
— Comme le transport que tu nous as naguère conté de la momie de Voltaire ?
— Oui, peut-être.
— Et il était vivant !
— Où donc avait-il été surpris ?
— Entre le moment où il a quitté la rue de Richelieu et celui où il était censé rejoindre la maison de son père, il s’est passé quelque chose qu’il nous faut découvrir. Qui ou quels événements ont pu le faire dévier de sa route ?
— Sachant qu’avec un joueur on peut s’attendre à tout…
— Je crois qu’une visite à la Paulet s’impose.
Bourdeau poursuivait sa réflexion.
— Reste à déterminer s’il avait un rendez-vous qui s’est achevé tragiquement ou s’il a été enlevé alors qu’il regagnait son domicile.
— Ce qui m’intrigue…
— Que veux-tu dire ?
— Ces habits sans indices… En a-t-il été revêtu après avoir été dépouillé de ses vêtements ? J’en reviens toujours à cela… Ou bien…
— Peut-être était-il en galante compagnie ?
— En effet, c’est une possibilité. A-t-il voulu sacrifier à Vénus dans un court laps de temps avant de rentrer au logis ? Était-ce volontaire ou a-t-il sautésur une occasion ? Est-il tombé dans un guet-apens ? Cette affaire est un tissu à rayures.
— À rayures ?
— Je noblecourise…
Il rit.
— Le plein et le vide. Le clair et le sombre. Les espaces clairs succèdent aux espaces sombres. Il nous faut remplir les vides et unifier la teinte…
— Comme toujours.
— Davantage qu’à l’accoutumée. Certains détails m’apparaissent destinés à brouiller les pistes…
Nicolas se pencha à la portière et cria au cocher de piquer vers la rue du faubourg Saint-Honoré.
Le Dauphin couronné suait la prospérité. Tentures de soie, brocarts, velours mordorés, meubles de prix, marqueteries précieuses, laques et vases de la Chine, bibelots de toutes sortes s’accumulaient dans le vestibule et les salons. La Paulet les acquérait-elle ou, selon la rumeur, provenaient-ils de la gratitude de ceux que les prophéties de la maquerelle-pythonisse avaient éclairés ? Désormais la tenancière du lieu, autorité unanimement reconnue et lancée à la ville et à la cour depuis que le duc de Chartres lui avait fait l’honneur d’une consultation, tenait séance dans son salon aménagé. Il tenait tout autant du temple hindou que d’une chapelle baroque. L’or, la
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