L'enquête russe
Pouvez-vous me décrire la dame en question qui, selon nos informations, vous a escroqué plusieurs milliers de livres ?
— Une dame déjà en âge, la trentaine épanouie, beaucoup de dignité, en imposant par son langage et sa mise. Hélas !
— Comment se fait-il qu’un homme aussi avisé que vous l’êtes…
Il ne put achever. Böehmer venait de frapper du poing sur la table.
— Monsieur, monsieur, c’est que vous ne savez pas tout !
— Eh bien ?
— Mon confrère Bassenge et moi-même avons réuni depuis des années les pierres les plus belles en eau et en taille pour créer un collier, un collier, monsieur, une splendeur à nulle autre pareille, digne d’une souveraine. Nous essayons en vain de le vendre auprès des cours et de la nôtre en particulier, sans succès, hélas ! Si j’ai fait preuve d’une telle candeur avec cette femme, c’est qu’elle m’avait fait accroire qu’elle était proche de l’impératrice de Russie et qu’elle se pouvait entremettre pour lui proposer notre parure. Elle a le don de vous entortiller qu’on oublie toute prudence et raison. Reste, monsieur le commissaire, cela je peux vous le garantir, que la broche à portrait qu’elle m’a présentée lors de notre première rencontre était bien authentique. J’en avais en effet réparé une tout à fait identique pour une noble dame russe ou polonaise, une de mes pratiques, qui vit à Paris depuis des années.
— Et qui s’appelle ?
— La comtesse Skzrawonski.
Nicolas nota le nom, puis le joaillier consentit de bonne grâce à faire l’essai du louis qui s’avéra faux et fabriqué de cuivre doré. Il remercia dans les formes les plus exquises le joaillier. On ne savait jamais, cela pouvait être utile. Il s’achemina vers l’hôtel de police tout proche. Il trouva le bureau de M. Le Noir en grande agitation. Bourdeau et Gremillon travaillaient sur des plans étalés sur une petite table placée près d’une croisée. Le lieutenant général de police, le menton dans la main, paraissait perdu dans la contemplation d’un portrait du roi. Ce portrait par Duplessis lui avait été offert après que le Parlement, quelques années auparavant, l’eutattaqué. Louis XVI lui avait ainsi marqué son estime et son appui.
— Vous voilà bien pensif, monseigneur. C’est la perspective de notre affaire qui vous assombrit ?
— Elle prend part à mon humeur.
Il attrapa Nicolas par le bras et l’entraîna devant le tableau.
— Considérez notre roi. Voilà un portrait officiel qu’on multiplie à l’infini. Oubliez le souverain. Qu’y distinguez-vous ?
— Il est difficile et de beaucoup malaisé d’oublier le sujet. Toutefois, si vous insistez, j’y vois un jeune homme aimable, doucement satisfait de lui-même ? De son état ?
— Est-il pour vous l’image de l’autorité ?
— C’est le roi. Je lui obéis et le vénère.
— Pour ma part j’observe une chose étrange qui me frappe. Comparez les tableaux en costume du sacre de nos trois derniers monarques. Est-ce la volonté des modèles ou celle des peintres qui y surnage ?
— Je distingue mal la voie où vous vous engagez.
— C’est que le grand roi regardait fixement, face à lui, son royaume, l’univers et ses sujets. Il était l’image de l’État.
— Et ses successeurs ?
— Louis XV regardait vers la droite, son petit-fils tourne la tête à gauche. Le premier semble absent, le second bonhomme… Cet homme est une énigme. Mais je divague, l’urgence nous appelle.
Nicolas fut frappé des réflexions de Le Noir. Elles ne manquaient ni de sagacité ni de finesse. L’image offerte à la contemplation des sujets impliquait qu’elle correspondît à la haute idée que chacun devait se faire du souverain. L’onction du sacre serenouvelait par l’apparence certes, mais surtout par le caractère.
— Alors, dit Le Noir, si nous récapitulions une dernière fois. Sommes-nous assez assurés du déroulement de la journée du prince ? Bourdeau ?
— La comtesse du Nord doit recevoir des marchands à la toilette et des artisans qui lui présenteront leurs chefs-d’œuvre, en particulier une superbe parure d’émaux entourés de marcassites.
— Comment est-on au courant, dit Nicolas surpris, de détails aussi précis de ce qui va advenir ! Cela me passe !
Le Noir, Bourdeau et Gremillon parurent gênés. L’inspecteur reprit la parole après un coup d’œil au lieutenant général de
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