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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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cette chair était déjà endolorie et tuméfiée.
    – Poussez encore, madame.
    – Plus fort?
    – Oui, ma
lunia
. Tu peux lui ouvrir la porte.
    Elle perdit le compte, puis la troisième poussée fit saillir la tête du bébé, juste sous le mont de Vénus.
    – Oh!
Elzbieta
, regarde, regarde dans le miroir.
    Elle poussa encore deux fois et Denis émit un son guttural qui fut immédiatement suivi d’un pleur timide du bébé.
    – Qu’est-ce que c’est?
    – Une magnifique fille.
    Élisabeth vit Denis poser les pinces sur l’ombilic et inviter Nathaniel à couper lui-même le cordon pendant qu’il tenait Agnès contre sa poitrine, après l’avoir recouverte d’un délicat petit drap et lui avoir nettoyé les voies respiratoires. Élisabeth lui fit un sourire entendu à travers ses larmes de bonheur et Denis baisa doucement le front du bébé avant de le remettre à son père en larmes.
    – Heureusement que j’ai ma kippa. Heureusement, ma
lunia
, parce que je ne sais plus penser.
    Il s’approcha d’elle et, sous le regard résigné et souffrant de Denis, l’embrassa avec toute la douceur et la reconnaissance qui l’habitaient, lui chuintant plein d’amour dans cette langue qu’ils étaient les seuls à comprendre. L’infirmière détourna quand même le regard, gênée d’être témoin d’autant d’effusions. Nathaniel lui déposa ensuite Agnès dans les bras, les couvrant toutes les deux pendant que Denis attendait patiemment la fin de leurs épanchements pour terminer proprement son travail.
    Jan avait entendu le vagissement et avait jeté un coup d’œil au ciel, tenant serrées dans sa main les cordes du violoncelle de son père. Puis il éclata en sanglotsen pensant à sa paternité mise en berne par Nicolas. Il se ressaisit aussitôt, effrayé à l’idée que sa sœur le voie ainsi affligé. Le bébé fut le premier à sortir de la salle, poussé par l’infirmière qui le conduisait à la pouponnière. Elle s’arrêta devant Jan pour qu’il puisse le voir.
    – C’est une fille.
    – Ma sœur ne pouvait pas avoir un garçon. Cela aurait été aussi faux qu’un instrument désaccordé.
    – Espérons qu’elle va être aussi belle que sa mère.
    Souriant, Jan se pencha sur le ber, examina longuement le poupon et lui effleura finalement les joues et le front.
    – Bienvenue, belle Agnès…

35
    Agnès avait cinq mois, les yeux bleus de sa mère, la main gracieuse, un sourire de trois dents, les boucles blondes comme l’avaient été celles d’Adam et le regard songeur. Elle avait été baptisée en février, avec Stanislas pour parrain et Florence pour marraine, au grand désespoir du curé, qui avait insisté pour que ses parrain et marraine soient un couple marié. Élisabeth avait été intraitable, ne voulant priver Florence du titre.
    Florence était rentrée de New York et s’était empressée d’aller chez Élisabeth pour revoir sa filleule. Elle ne cessait de la bercer et de la cajoler, se précipitant sur la cuillère ou sur le biberon pour être près d’elle, quand elle ne réquisitionnait pas le landau pour la promener à l’extérieur. Élisabeth était comblée, ses deux «filles» et Nathaniel étant tout ce qu’elle pouvait souhaiter. Elle regardait parfois Florence à la dérobée, prenant conscience qu’elle n’était plus une petite fille voulant jouer avec une jolie poupée, mais bien une jeune femme de vingt-quatre ans en âge d’être mère et attirée par ce rôle qu’elle jouait fort bien. Agnès reconnaissait toujours Florence et lui manifestait des joies qui lui laissaient croire qu’elle était la marraine la plus extraordinaire du monde.
    – As-tu un amoureux, Florence?
    – Pas maintenant. À Juilliard, on rencontre des gens sérieux aux mœurs légères.
    – Ah bon! Qu’est-ce que tu veux dire?
    – Je veux dire qu’ils sont presque tous des gens talentueux. En tout.
    Elle sourit de toutes ses dents, certaine d’avoir alarmé Élisabeth dont la virginité avait survécu à son premier mariage.
    – Au cas où la chose t’intéresserait, je suis une étudiante de Juilliard. J’aurais, dit-on, du génie en musique, et j’aurais, dit-on, beaucoup de talent en mœurs légères.
    – Et qui dirait ces choses?
    – Les violoncellistes. Pour ne rien te cacher, j’ai souvent pensé à ta mère et à ton père, parce que j’ai un faible pour les violoncellistes.
    Elle n’ajouta pas qu’elle les regardait tenir leur instrument en se

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