L'envol des tourterelles
âge.
«Regarde le jeune Perron. Il a à peu près six pouces de moins.
– Il est plus jeune.
– Non. Il a trois mois de plus.»
Chaque dimanche avait servi d’école et il s’était incliné, commençant à regarder son fils d’un autre œil, d’autant plus qu’Anna lui avait parlé d’une amourette – «platonique et à sens unique», avait-elle bien précisé – qu’il aurait eue avec la jeune violoniste d’Élisabeth.
Jerzy en avait été chamboulé. Son petit garçon était devenu, le temps d’une saison, un jeune homme reluqué par la gent féminine. Il avait voulu savoir si Stanislas était plus joli que ses compagnons et Anna lui avait dit que oui, en se fiant non pas à elle – «Une mère, tu sais» –, mais aux autres dames – «Votre fils sera certainement le plus bel homme de Saint-Norbert» – et aux compagnes de Sophie – «Si ton frère est là, je n’y vais pas; il est si beau qu’il m’intimide». Jerzy avait donc accepté cet apparent consensus, ému plus qu’il n’aurait voulu le reconnaître. Le troisième dimanche, il avait remercié ses parents de lui avoir confié un si beau fils, et il n’avait jamais pensé que Stanislas pût lui ressembler.
– Parle-moi de ta petite rouquine, Stanislas. J’espère qu’elle sera aussi importante pour toi que l’a été la mienne.
– Maman n’est pas rousse.
– Mais je ne parle pas de ta mère.
Stanislas s’était retourné vivement, troublé par la confidence de Jerzy. Il n’avait jamais pensé que son père eût pu connaître une autre femme que sa mère. Il refoula rapidement l’idée qu’il eût pu avoir des rapports sexuels avec quelqu’un d’autre. Mais son père souriait de la même façon que devant les premières pousses printanières ou devant Sophie quand elle avait bien chanté, un soir de concert, avec la chorale ou à l’église. Il avait aussi le même air quand il racontait la journée de son mariage, même s’il l’évoquait en ne parlant que du coup d’archet d’Élisabeth et de son évanouissement, omettant évidemment que Jan aussi l’avait transportée. Stanislas regarda son père de nouveau et fut intrigué par cette autre rouquine, curieuxde savoir si elle avait été aussi drôle, aussi talentueuse et aussi jolie que Florence.
– En Pologne?
– Non. En Angleterre. Une infirmière dont le mari avait été blessé lors du premier bombardement de Londres.
Stanislas ressentit un immense soulagement. Elle avait été mariée. Sa mère n’avait pas eu de quoi s’inquiéter.
– Une vraie
British
?
– Une vraie. J’imagine qu’elle avait du sang écossais ou irlandais, parce qu’elle était rousse comme... comme...
– Comme du tabac séché quand il est éclairé par le soleil couchant?
Jerzy comprit instantanément la profondeur de l’amour ou de la passion – il n’aurait pu le dire – de son fils pour cette Florence. Il en fut ému, le trouvant beaucoup trop jeune pour connaître un tel tumulte. Il pinça les lèvres. Le trouverait-il assez mûr, dans trois ans, pour partir au front? Certainement pas. Il frémit en pensant au chagrin sans nom qu’il avait dû infliger à ses parents. Sa témérité avait certainement mis leur bonheur en éclipse.
– Et elle était gentille?
Stanislas venait de le ramener à la réalité.
– Très. Elle m’a aidé à réapprendre à marcher et m’a prêté un violon pour que je puisse en jouer afin de mettre un peu de gaîté dans ce maudit hôpital gris qui suintait le sang et puait la souffrance. Elle m’a même prêté l’uniforme de son mari afin que je puisse aller en Pologne pour rechercher ma famille.
– Est-ce qu’elle aurait voulu être ta femme?
Jerzy revit en un éclair toute sa relation avec Pamela. Il avait tant souhaité qu’elle le suive en Pologne et elle aurait aimé le faire; être la belle-sœur de Jan et d’Élisabeth; être la mère d’enfants blonds et musiciens. Mais il y avait eu ce mari qui n’en finissait pas de mourir.
– Mais non, Stanislas. Elle était déjà mariée.
– Mais si elle avait été veuve?
– Je n’en sais rien. C’était à la fin de la guerre et j’avais bien d’autres choses en tête que le mariage.
Jerzy se tut pendant de longues minutes, regrettant presque d’avoir parlé de Pamela. Mais d’apprendre que son fils avait eu une étincelle pour une jeune femme rousse avait ravivé le souvenir de la flamme qu’il avait eue pour l’infirmière britannique.
Weitere Kostenlose Bücher