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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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diplômés polonais formaient l’élite, l’aristocratie des peuples sans aristocrates. Stanislas pourrait être respecté même s’il choisissait l’agronomie. En Pologne, un agronome était aussi bien considéré qu’un vétérinaire. Jerzy se sentait parfois coupable de ne pas avoir mis l’accent sur ses études, mais il s’était toujours dit que la Pologne comblerait rapidement les déficiences scolaires de son fils. L’ambition de Stanislas et son sérieux face à son avenir étaient partiellement responsables de l’urgence de leur départ. Urgence aussi pour Sophie, qui avaitcomplètement oublié qu’elle avait une voix exceptionnelle qu’elle devait consacrer à l’opéra et non à ce groupe de pouilleux à l’haleine de bière et aux ongles sales et trop longs. Depuis ce premier spectacle, dont il n’avait jamais reparlé, il avait été conforté dans sa certitude que le Manitoba n’était qu’une salle d’attente pour la vie qu’il destinait aux siens. Il lui restait un an pour tout régler. S’il avait désespérément souhaité que se produisent des changements politiques en Pologne, il était maintenant prêt à rentrer sans conditions, véritable reddition, pour le bien-être des siens. Anna comprendrait son mal d’exilé et le suivrait, bien que sûrement à contrecœur.
    Jerzy regarda approcher Stanislas, reconnaissant une démarche qui lui était familière et qui n’était pas celle de Jan. Stanislas lui rappelait clairement un jeune homme qu’il avait aperçu dans les vitrines de Cracovie en déambulant avec Karol. Jerzy sentit un frisson parcourir de bas en haut sa colonne vertébrale et s’arrêter dans sa poitrine avant que l’émotion ne lui vérole le menton. Stanislas marchait comme il l’avait fait. C’était son propre reflet qu’il avait aperçu dans les vitrines de Cracovie. Ils ne pourraient, hélas, jamais comparer, son boitement lui ayant enlevé toute fierté, mais il se reconnaissait, indubitablement.
    – Quelle bêtise, papa! Est-ce que nous avons perdu beaucoup?
    – Oui et non. Sauf qu’il faut que je prenne la décision d’embaucher des hommes. Ça va me permettre deux choses : acheter le dernier lopin de M. Carrière et avoir un ouvrier à plein temps.
    Stanislas se demanda s’il devait voir un reproche dans cette phrase.
    – Je ne travaille pas assez bien? Tu ne veux plus que j’aille à Montréal?
    – Mais non. Je veux simplement soulager ta mère et ta sœur. Je pense aussi qu’elles devraient maintenant représenter notre ferme au marché. Toi et moi, nous allons rester dans les champs. C’est tout.
    – Avec un engagé?
    – Avec un engagé.
    Stanislas espérait que son père était sincère quand il lui affirmait qu’il pouvait continuer à aller à Montréal. Il aurait voulu lui rappeler qu’il préférait le marché pour voir les gens, discuter, mais il n’en eut pas le courage. Son père avait assez de problèmes sans qu’il lui en ajoutât. Sa décision était sage, il le savait, sa mère étant beaucoup trop fatiguée. Ils devaient aussi tenir compte de son âge. Une femme de quarante ans n’était pas aussi en forme ni aussi jeune qu’un homme du même âge, il le savait. Ses camarades en avaient parlé à l’école, déclarant que les hommes pouvaient avoir des enfants jusqu’à leur mort alors que les femmes séchaient comme des pommes. Il se demandait parfois si sa mère avait commencé à sécher.
    Ils revinrent aux bâtiments, sortirent le tracteur et y attachèrent la boîte, dans laquelle ils mirent tout ce qu’ils trouvèrent de cartons. Ils retournèrent ensuite dans les champs et, sous un ciel toujours bleu, prirent la journée pour arracher à la terre tous les légumes mort-nés. Jerzy expliqua encore à Stanislas que s’ils avaient été plus nombreux à travailler aux champs, ils auraient presque eu le temps de tout récolter. Stanislas demeurait perplexe et silencieux, comprenant difficilement que son père se dise satisfait de lui mais qu’il enchaînât en souhaitant de l’aide.
    Jerzy regardait son fils arracher les plants de tomates, aplatis sur une terre rendue boueuse par le dégel. Il essayait d’être le plus discret possible, sachant son fils susceptible comme un Pawulski. Il devinait que Stanislas trouvait étrange sa décision d’embaucher du personnel. Il hésita à parler ouvertement du déménagement. Stanislas aurait pu être un allié s’il ne s’était énamouré de la ville de

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